TÉMOIGNAGE: Siaka Kouyaté, mort d’un journaliste au talent incontestable
La disparition du Directeur de publication et fondateur du journal Le Citoyen, le doyen Siaka Kouyaté, 62 ans, me donne l’occasion de livrer mon témoignage au sujet d’un homme que j’ai personnellement côtoyé et pour qui j’ai toujours eu un grand respect malgré nos divergences de points de vue sur certains aspects de la pratique du journalisme.
Si j’ai tenu à préciser plus haut ce pan de mes relations avec l’ancien secrétaire général du journal Horoya (poste qu’il a occupé), c’est d’abord par souci d’honnêteté. Nous avons défendu, sans juger mais parfois avec véhémence, des points de vue différents par rapport aux résultats de nos investigations, et tous ceux qui ont pratiqué la presse dans les années 90, après la création des premiers journaux indépendants, en sont parfaitement conscients.
Dans ma position de journaliste, rédacteur en chef au groupe de presse L’indépendant, j’avais osé critiqué dans un article d’opinion le « Grand » Siaka – c’est ainsi que je l’ai souvent appelé – et n’eût été l’intervention d’autres confrères qui nous ont précédé dans ce métier, les choses auraient pu tourner autrement.
Sans revenir dans des détails inutiles, l’affaire tournait autour de l’expulsion d’un journaliste qui a aujourd’hui disparu des radars, Louis Espérant Célestin, expulsé de Guinée à l’époque par le ministre de la sécurité Sékou Goureissy Condé, suite à la diffusion d’un article de presse. Siaka, dans son style incomparable, défendait la position du ministre de la sécurité et moi celle du journaliste. Ce fut l’un des plus grands conflits que j’ai eu avec le grand frère.
Avec le recul, sans renier nullement les valeurs et les principes que j’ai défendus fermement à cette époque (et que je continuerais de défendre), je reconnais que je n’avais pas fait l’effort de comprendre un homme, spécialiste de l’antiphrase, qui savait user du cynisme pour grossir les faits et gestes de nos dirigeants afin de mieux les tourner en dérision. Siaka avait l’expérience que je n’avais pas et aujourd’hui, après l’avoir bien approché, je me rends compte que le journaliste pensait exactement le contraire de ce qu’il avait écrit à l’époque.
Dans l’ensemble de la presse guinéenne, avec des perles rares comme le doyen Biram Sacko (décédé il y a une près d’une quinzaine d’années) et l’écrivain William Sassine, jamais un journaliste n’a révélé un talent d’écriture aussi abouti.
Siaka, qui se fondait sur un vécu solide et une vaste culture, était un as des phrases simples mais puissantes, un véritable penseur parmi nous. De sa plume exquise, il savait défendre ses positions, y compris les plus contestables. Même ceux qui ne l’aimaient pas du tout respectaient le génie de sa plume !
Pour ceux qui ne le savent pas, Siaka Kouyaté est un officier de l’armée guinéenne, formé en Russie et en France (il est promotionnaire des commandants Yaya Sow et Kader Doumbouya, projetés sous les feux de la rampe après la mutinerie sanglante des 2 et 3 février 1996).
L’homme a démissionné de la grande muette pour bifurquer dans le secteur du transit, avant de tomber dans le journalisme « par accident » – il le disait lui-même. Je dirais qu’il y est arrivé naturellement, parce qu’il faisait partie de cette élite talentueuse qui trouvait sa voie quelles que soient les circonstances. Quand on pense qu’il aurait pu finir général d’armées !
Son amitié avec le commandant Sow, le journaliste Siaka Kouyaté, va le payer au prix d’un séjour à « l’hôtel 5 étoiles de Coronthie » (entendez la Maison d’arrêt). L’homme reconnaitra plus tard qu’il avait fait sciemment dans la provocation pour être aux côtés de son frère d’armes. Une histoire de mallette du président dont la presse ne parvenait pas à situer le détenteur après le bombardement du palais des nations (à l’époque siège de la présidence).
Aujourd’hui, je peux vous dire que l’aide de camp du président Lansana Conté durant les événements de février 1996, le commandant Lansana Camara, m’a révélé, avant sa mort, à l’occasion d’une des nombreuses causeries que j’ai eues avec lui, que bien lui qui détenait la mallette en question. « C’est moi qui avait la mallette. Elle ne m’a jamais quitté », m’a-t-il confié.
J’ai connu Siaka Kouyaté par le truchement de mon ami et collègue Aboubacar Condé (rédacteur en chef au groupe de presse L’indépendant, également décédé et dont je salue la mémoire), beau frère du directeur de publication du journal Le Citoyen et « élève » de Siaka (Aboubacar l’appelait « mon maître »).
La dernière fois que j’ai vu Siaka (avant son départ pour la Mecque d’où il reviendra malade), c’était au jardin 2 Octobre où je passe de temps en temps pour mon footing de l’après midi. J’ai été très honoré d’avoir connu un homme aux multiples facettes (il a fini sa course comme membre du Conseil national de transition !), d’une intelligence rare et qui faisait sien cette belle phrase d’un poète français de la Renaissance, Jacques Tahureau pour ne pas le nommer : « Tout ce que l’homme pense, tout ce que l’homme fait en ce bas monde ici n’est rien d’autre qu’un vent léger, une vaine espérance, pleine d’un vain souci »…
Repose en paix grand frère, nous ne t’oublierons jamais.
Saliou Samb – Journaliste, correspondant de l’agence de presse Reuters en Guinée