Lettre ouverte de Cheick Traoré au président Alpha Condé
Excellence Monsieur le Président, Si je ne renie rien du soutien que je vous ai apporté lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010, refusant de me résoudre à confier la gestion du pays aux anciens gouvernants que j’ai fini par rejoindre.
Je suis incapable de dissimuler l’immensité du trouble qui m’habite après 3 ans de gestion de votre régime.
Non seulement je ne vois plus le cap que vous avez choisi, mais les renoncements successifs des militants captifs (de première heure) du RPG me font perdre totalement le sens de l’action que vous menez.
Au-delà de l’appréciation des décisions ou promesses annoncées un jour et retirées le lendemain, un seul mot semble caractériser votre méthode de gouvernance : la peur ! Sinon, comment dans le discours de l’an et ceux qui ont suivis, que vous avez adressé à la Nation, à l’occasion desquels vous avez exprimé haut et fort que le gouvernement Saïd n’a pas comblé toutes vos attentes et avez demandé sa démission puisse se retrouver presqu’intégralement dans la nouvelle équipe gouvernementale pléthorique ?
Monsieur le Président,
Avez-vous peur de gouverner ? Peur de vous-même ? Êtes-vous devenu votre pire ennemi ?
En tout cas, vous paraissez avoir peur de présider et semblez céder à une panique provoquée par la conjonction d’un mécontentement inédit dans l’opinion et d’une absence totale de lisibilité résultant d’une mal gouvernance sans précédent.
Dans ce contexte fébrile, chaque alerte provoque un coup de tonnerre plongeant votre entourage dans un état d’urgence. Les quartiers de Conakry manifestent pour la crise d’eau et d’électricité, Boké et Dubreka s’embrasent, le narco trafic a refait surface et le peuple se rend justice, etc., etc.
Si ça continue comme ça, avec le gouvernement Said2, l’Etat sera dans une position inédite de faiblesse et paralysé par l’inefficacité des actes qu’il pose ; ce qui finira par le paniquer à cause des craintes de voir le pays se soulever contre lui, avec en tête, les militants éclairés du RPG.
Monsieur le Président,
Vous allez me dire que je fais une fixation ou que je prêche pour ma nouvelle paroisse, mais nous sommes au cœur de la plus grave crise post transition si vous ne prenez garde.
C’est faux de penser que chaque fois qu’on parle des dérives de votre régime que cela est politique. Le gouvernement cherche à maintenir le pays dans cet état d’esprit alors que nous devons pouvoir débattre et confronter nos points de vue dans le but de transformer nos faiblesses et nos peurs en opportunités pour tous.
La piètre qualité de la communication présidentielle fait que vous loupez souvent vos objectifs. Continuer à mal communiquer, c’est la preuve du manque de maîtrise de l’agenda et des repères de Sèkhouréyah.
Pour la première institution de la république que vous incarnez, communiquer devrait être l’accomplissement d’un acte démocratique qui considère le citoyen comme un partenaire de travail, qui doit avoir confiance à ses gouvernants pour avancer.
Au lieu de tout cela et parce que vous avez choisi de mépriser la presse nationale dès votre installation au pouvoir, vous risquez d’être l’otage des colères populaires.
Monsieur le Président,
A moins de 2 ans de la fin de votre mandat, l’opinion est plongée dans un bavardage inutile, assourdissant et abondant alors qu’elle a besoin qu’on lui parle et qu’on lui commente les choix que vous avez opéré pour répondre à ses attentes. Encore une fois, c’est une question de considération ou de mépris pour la Guinée et les Guinéens.
Quelqu’un n’a-t-il pas dit que : « un pouvoir qui ne fixe pas d’agenda est un pouvoir qui se dissout dans l’acide des opinions sulfureuses ».
Attention Monsieur le Président, en lieu et place du pouvoir absolu ou autoritaire vers lequel on semble vous conduire, vous devez choisir d’être déterminé, audible et lisible. Diriger sans communiquer est un acte désespéré qui conduit à la panique.
Nombreux sont les guinéens et amis de la Guinée qui seraient très heureux de soutenir publiquement l’action de votre gouvernement si seulement ils comprenaient eux-mêmes le sens de votre communication. Ils auraient continué à être des supporters enthousiastes et propageraient des convictions auprès du peuple, mais hélas, ils en sont totalement incapables aujourd’hui.
Quand on communique, on permet au peuple de se mettre en situation de développer son propre savoir et son libre arbitre. A l’inverse, quand on maintient le peule dans le silence, on laisse ses peurs submerger son ignorance.
Pour tout ce qui précède Monsieur le Président, je suis très inquiet de la situation actuelle de notre pays.
Comme l’a dit Jacques Attali, tout semble se passer dans votre entourage immédiat comme dans un bal où chacun ne veut voir que le somptueux buffet et l’orchestre magnifique sans remarquer qu’il n’y a qu’une issue. Tout le monde pense qu’on ne peut avoir de problèmes. Ceux qui comprennent qu’il y a des risques, la salle étant bondée, dansent encore, mais près de la sortie.
Quel que soit le bord politique auquel j’appartiens et pour peu que je sois attaché à la démocratie et aux valeurs de notre république, je me permets encore d’espérer que vous puissiez reprendre vos esprits et le contrôle de la situation afin de protéger la Guinée et les Guinéens contre les débordements d’une opinion déchainée qui ne va pas tarder à comprendre qu’elle doit reprendre sa légitimité.
Votre échec sera un drame pour ma génération et celles qui viennent après nous, c’es-à-dire pour la Guinée tout entière.
Que Dieu bénisse la Guinée et les Guinéens.
Bobigny, le 13 février 2014
Honorable Cheick Tidiane TRAORE
Président du MPR
Administrateur du Groupe de presse Guinée Etoile
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