Fria: Quand les populations dépendent uniquement de l’usine
La dépendance totale de certaines villes minières des unités industrielles constitue-t-elle un avantage ou des inconvénients pour la prospérité de ces villes ?
Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons rencontré cette semaine le Dr Ibrahima Diallo, analyste de faits sociaux et maitre de conférences dans différentes universités de Guinée et de la sous-région.
Dans cette interview, M. Diallo met l’accent sur Fria, une ville qu’il a connue à son jeune âge.
Conakryinfos : Dr peut-on affirmer que la construction d’une unité industrielle dans une localité est forcément un avantage ou non pour les populations riveraines?
Dr Ibrahima Diallo : Une unité industrielle constitue souvent une source de bonheur dans une localité. Elle crée de l’emploi pour les fils du terroir, contribue à la formation et à la couverture sanitaire des populations riveraines. Elle facilite aussi l’accès des populations aux services sociaux de base. Mais de l’autre côté, elle crée dans l’esprit des populations une dépendance totale. Ces habitants abandonnent tout et attendent tout de l’usine. Cela crée d’énormes difficultés, car il est hors de question qu’une unité industrielle puisse jouer le rôle de l’Etat et des populations. Une entreprise est limitée par le temps et par le nombre de travailleurs. Et le tout repose sur des chiffres dictés par les réalités internationales. C’est l’exemple de la ville de Fria où la population dépend uniquement de l’usine.
Quels souvenirs avez-vous de la ville de Fria ?
Oui comme tout le monde, je garde de Fria une petite ville à l’époque, avec une desserte en eau et électricité ou toutes les activités se résumaient en trois lieux essentiels : le plateau, la piscine et l’usine. En ce moment, compte tenu du nombre très insignifiant de la population, la vie était belle. Mais j’insiste sur la démographie d’alors.
Que voulez-vous dire par là ?
Je veux dire qu’à l’époque le rêve de chaque jeune de Fria était de travailler à l’usine. Ils n’ont malheureusement pas projeté la vie de Fria sur l’avenir, prévoir qu’avec l’augmentation de la population et la flexibilité du marché international, car il s’agit de matières premières, que cette usine qui a une capacité limitée ne pouvait point continuer à supporter les charges qui croient de jour en jour. Si nous faisons un recul de 30-40 ans, la population de Fria pouvait s’estimer entre 30 à 40 mille habitants aujourd’hui cette ville qui dépend toujours de la même usine te fait une population de plus de 120 mille habitants. Comment voulez-vous que les autorités de cette unité industrielle puissent à la fois supporter les charges de l’usine et celles d’une population qui s’est habituée à la gratuité ? Mais c’est impossible, vous ne verrez cela nulle part au monde. L’usine s’occupe de ses travailleurs, paie ses taxes et impôts ; mais elle ne peut pas se substituer à l’Etat en donnant gratuitement de l’eau et de l’électricité à toute la population.
Donc pour vous les jeunes de Fria n’ont pas été prévoyants ?
Je dirai certains, mais pas tous. La majorité ne voyait que l’usine, rien que l’usine. Pour eux, cette unité industrielle est une éternité ; mais c’est mal comprendre le fonctionnement d’une machine. Vous savez les jeunes de Fria avaient toute la chance de réussir dans d’autres activités loin de l’usine. Ils avaient l’électricité pour la lecture et la recherche du savoir à tout moment. Regardez à Conakry la capitale, les enfants sont à la recherche de l’électricité pour apprendre leur leçons, les jeunes de Fria n’avaient pas ces problèmes. Nombreuses sont les villes qui n’ont ni eau à la pompe ni électricité ni usine, mais leurs populations vivent. Je pense également que les parents et les autorités locales d’alors n’ont pas suffisamment expliqué aux jeunes qu’il fallait s’orienter vers d’autres domaines de formation et oublier l’usine. Imaginez, nonobstant les charges sociales de plus de 10 millions USD que Rusal supporte et qui n’a rien à voir avec la production de l’alumine, le collège syndical déclenche une grève qualifiée par la justice guinéenne d’illégale. Aujourd’hui, cette usine est à l’arrêt ; et c’est toute la ville qui est affectée. Heureusement pour le moment les autorités de Rusal assurent la desserte en eau et en électricité pour une partie de la ville de Fria. Récemment, j’ai entendu le préfet de Fria dire qu’il a mis en place un comité de réflexion sur l’après bauxite. Et comme le disait l’autre, mieux vaut tard que jamais.
Quelles sont vos propositions ?
Je pense que l’exemple de Fria est une bonne leçon pour les villes et les localités comme Kamsar, Sangarédi, Siguiri, Dinguiraye et d’autres villes. Il faut diversifier et entreprendre d’autres activités génératrices de revenus. Une usine qui emploie un nombre limité de travailleurs ne peut pas faire vivre toute une ville. Vous avez par exemple Friguia y compris les emplois des sous-traitants avec près de 3.000 travailleurs. Est-il possible que ce nombre parvienne à faire vivre une ville de plus de 120 mille habitants ? Le calcul est facile et c’est impossible.
Conakryinfos