Conackry: Dans la fièvre des boîtes de nuit

La fièvre des Night-clubs est entrain de gagner les Conakrykas ou du moins, ceux d’entre eux qui ont les moyens de s’offrir une entrée en boîte. Car contrairement aux maquis, ici, il faut payer avant d’entrer.

Quoique la concurrence aidant, les choses changent à ce niveau aussi. Certaines boîtes n’exigent plus le ticket d’entrée. Elles imposent la consommation à l’intérieur. Avec les boîtes, un nouveau phénomène social est entrain de voir le jour. C’est celui des excès dans les mœurs et dans les dépenses.

La société guinéenne change. Les Guinéens également ! Après la fréquentation des bars-dancing et autres permanences, voici celle des boîtes de nuit. Nuitamment, elles attirent les « jeunes ». Qu’ils soient adultes, vieux, riches ou pauvres, chacun y va pour se divertir, draguer ou se faire des amis.

Comme pour les vêtements, les loisirs subissent un phénomène de mode. On abandonne un type de loisir pour un autre. Des bars-dancings populaires de la période révolutionnaire, certains guinéens fréquentent depuis le milieu quelques années les boîtes de nuit, lieux plus confortable et conviviaux pour savourer les musiques de leur choix, se divertir, oublier les soucis et autres tracas de la vie.

L’engouement des Guinéens pour ce nouveau loisir résulte à la fois d’un changement de mode et d’une certaine évolution du niveau de vie. « Le niveau de vie des Guinéens augmente. Et chacun par rapport à ses revenus aspire au plaisir en cherchant des services de qualité qui répondent à ses attentes », constate un gérant de boîte de nuit.
Dans le seul centre-ville de Conakry, on dénombre près d’une dizaine de night-clubs.

L’émergence d’une nouvelle couche sociale plus aisée

L’entrée dans une boîte de nuit située vers l’aéroport coûte cher et selon Soumah, 30 ans, réalisateur et habitué de ladite boîte « ne viennent ici que ceux qui peuvent se payer l’entrée. Pour avoir une chose de qualité, plus je paie cher, mieux je me trouve un endroit qui convient à mes aspirations. Pour ceux qui n’ont pas les moyens, ils peuvent aller dans les maquis pour se défouler ».

En effet, Soumah dit être y venir accompagné de sa femme, au moins trois fois par mois et dépense par sortie pas moins de 100.000 FG. A l’entendre, « les bourgeois » se réunissent dans des clubs ou cercles privés et s’adonnent à leurs fantasmes en s’efforçant de susciter le moins de ressentiment possible dans les couches populaires.

« Certains, adultes, jeunes ou vieux cadres, préfèrent des boîtes plus tranquilles, plus chics où la pagaille des élèves se fait rare car étant entre personnes mûres », affirme un journaliste qui a requis l’anonymat. L’ambiance dans cette boîte de nuit du côté de l’aéroport est soft avec une musique éclectique, dansante et pas forcément à la mode. L’habillement est classe et classique. « Nous offrons à notre clientèle un cadre convivial pour se relaxer, un accueil chaleureux, une disponibilité et de la musique de bonne qualité de 23 h à 4 h du matin tous les vendredis et samedis… « , Nous dit le gérant de la boîte. Le divertissement, comme tout autre service, se paie. Son coût est différent et s’apprécie en dehors des autres dépenses comme les frais de transport (carburant, parking…) pour rejoindre la boîte de nuit et la consommation de nourriture ou de boisson. Le prix d’achat du divertissement en tant que tel varie selon le public visé et la gamme de services offerte. On ne consomme plus seulement le strict nécessaire, on recherche ses aises et on aspire à vivre dans le luxe. On cherche à montrer sa fortune et sa réussite sociale. Cette recherche du plaisir conduit donc à économiser moins en consommant plus.
Pour ceux qui n’ont guère les moyens de s’acheter des loisirs de qualité, ils entrent tout de même dans le monde des loisirs en se contentant des formes traditionnelles telles que les maquis en plein air.

Attirer pour fidéliser

Chaque gérant use de diverses techniques pour s’attirer le maximum de clients et si possible, les fidéliser. Les jeunes de 15 ans à 25 ans, essentiellement étudiants et élèves, ne désemplissent pas la boîte de nuit.

« Dans ces boites de nuit, on vient pour se trémousser, pour se rincer l’œil, pour attirer les regards, pour draguer. On est entre jeunes et on s’amuse sans tabou et comme des fous ! », clame un habitué des lieux. A ces jeunes, s’ajoutent quelques Européens venus également « s’amuser ».

Les boîtes de nuit diversifient les offres de service pour que chaque client trouve son compte.
Et tout comme dans toutes les boites de nuit de Kaloum, on peut s’installer douillettement dans les fauteuils, siroter sa boisson tout en admirant les danseurs (surtout les danseuses).
Les gérants de night-clubs vendent aux consommateurs du rêve, de l’évasion, qui leur permettent d’oublier et de transcender les difficultés quotidiennes en jouant sur leurs fantasmes habituellement réprimés. Pour nombre de ces consommateurs, l’antidote de la fatigue du travail doit être le plaisir. De ce fait, il ne s’agit plus seulement d’accumuler de l’argent du travail quotidien. Il faut aussi le consommer pour s’épanouir.

En fait, que ce soit dans les night-clubs chics ou non, certaines personnes ne regardent pas à la dépense pour se faire plaisir. La nouvelle mode dans les boîtes consiste à s’acheter à prix d’or et parfois après des enchères des bouteilles de liqueur ou de champagne pour le seul plaisir de voir son nom ou ses initiales marqués sur la bouteille.

Se défouler et draguer

MC, 21 ans et élève en classe de Terminal, fréquente presque toutes les boîtes de Kaloum , voici un ans :  » je suis venue avec des amis pour me défouler, pour m’amuser car j’ai trop bossé et à l’école et avec des travaux domestiques. Nous venons tous les samedis danser. Nous venons pour faire la fête ». Et c’est avec force qu’elle et ses amis dansent ‘’SKEWULU’’, une danse à l’origine nigériane, mais prisée aujourd’hui par la couche juvénile. Un véritable déhanchement. Bouger rapidement les fesses tout en s’abaissant et en fermant les yeux avec le partenaire collé dans le dos ; c’est le trémoussement Skewulu qui, chaque samedi de minuit à cinq heure du matin, secoue les habitués des night-clubs. Emportés par les mélodies endiablées et le contact corps à corps, les danseurs, au bout de l’extase, râlent leur plaisir à gorge déployée. Puis, fusent les cris de joie, les pleurs, la tendresse.

Et du coté de Dabondi, lorsque la salsa tonne, la sensualité exacerbée par les jeux de lumière met en exergue les gestes langoureux des uns et des autres si ce n’est la semi-obscurité qui facilite la balade d’une main aux creux des hanches ou dans le dos. Certaines personnes s’enflamment à la vue d’une danseuse aux mouvements sensuels ou se laissent aller en compagnie d’un « latino-danceur ». Peu importe qu’il pige ou non les paroles de la chanson. Seule la musique chaloupée et rythmée de sensualité provoque la prise d’assaut de la piste de danse et commande les comportements.

En boîte, on peut y aller seul pour draguer. Abou 27 ans et étudiant de son état s’y rend très souvent seul et cela depuis plus de quatre ans : « en plus de m’amuser, je recherche par la même occasion l’âme sœur. Qui sait où son bonheur est ? Peut-être qu’un jour je tomberai sur elle ici « . La nuit des boîtes est donc d’une part, un temps de récupération pour oublier et décompresser des dures occupations hebdomadaires et d’autre part, un tremplin de renouveau.
Depuis le décès du Général Lansana Conté, les périodes poste électorales en général sont une période grasse pour les gérants de night-clubs. Malgré une conjoncture économique aigue. Le public augmente et le chiffre d’affaires explose. « En cette période, presque tout le monde est dehors et c’est le moment où notre boîte devient exiguë. D’ailleurs, nous sommes en train de l’agrandir… », confie un gérant de night-club.

Les habitués des boîtes de nuit se reconnaissent et se distinguent grâce à plusieurs critères. Selon Fatoumata, « un habitué des boîtes de nuit se reconnaît d’abord par le fait qu’il est dehors à une heure tardive. Le refrain de certaines musiques qui se jouent uniquement en boîte, l’habillement chic ou avec casquette, flotte, vêtements moulants et osés pour certaines filles… permettent de distinguer et de reconnaître un habitué des boîtes de nuit et de savoir la boîte qu’il fréquente ».

La fréquentation des boîtes de nuit est le reflet de l’évolution sociale de certains guinéens. La société de consommation fait donc son entrée de plain-pied en Guinée. L’aspect extérieur de ce changement avait été jusque-là symbolisé par l’encombrement grandissant de nos routes par les guimbardes dénommées « au revoir l’Europe « .

Nuit en boîte: Trop jeunes pour cette vie !

Sanctuaire d’un certain nombre de vices, « la boîte » est loin d’être un lieu saint. Mais n’en déplaise aux puritains, beaucoup de gens s’y sentent bien et trouvent en ces virées nocturnes un moyen formidable pour combattre leur stress quotidien. Il y a des prostitués qui ne travaillent que dans les boîtes de nuit. Elles arrivent à peu près en même temps que les clients, payent leur ticket d’entrée et investissent le lieu pour faire leur travail. Une fois à l’intérieur, elles usent de tout leur savoir-faire pour attirer les clients. Bonnes danseuses en général, elles choisissent de se trémousser dans les endroits les plus visibles de la piste de danse tels que les murs recouverts de miroir.

De temps en temps, l’espace d’un morceau, elles s’installent au bar pour siroter une boisson alcoolisée. C’est là que les clients les approchent, discutent avec elles. Et assez vite, les perles venues danser seules se trouvent des compagnons avec qui elles iront prolonger leurs soirées ailleurs. Des fois, ces couples nouvellement formés ne prennent même pas le temps de quitter la boîte. Ils se retirent dans un coin un peu isolé pour conclure rapidement. Dans les night-clubs, ce n’est pas seulement que la musique qui attire les clients.

A la faveur de la nuit, dans ces lieux à la fois sombres et éclairés, les gens se défoulent en gouttant sans retenue aux plaisirs terrestres plus ou moins malsains. La prostitution n’est qu’un vice parmi tant d’autres. Il y a aussi l’alcool, le tabac et dans une moindre mesure les substances dopantes. On ne va pas en boîte pour boire de la sucrerie ! « Moi je n’aime pas spécialement la danse, mais j’aime les boîtes. En général, quand j’y vais avec les amis, je reste la plupart du temps assis à boire tranquillement mon Whisky-Coca. Je ne me saoule pas mais je bois pas mal. L’alcool me met dans un état euphorique qui me permet de mieux me défouler et de décompresser », raconte un client. Sur les étagères du bar de cette boîte de nuit à la mode, plusieurs dizaines de bouteilles de Johnny Walker trônent. Elles portent toutes des étiquettes sur lesquelles sont inscrits des noms. Le schéma le plus classique pour consommer plus d’alcool en boîte consiste à prendre une bouteille qui sera consommée en deux ou trois sorties.

A priori, il n’y a aucun mal à ce que les uns et les autres se laissent aller à certains comportements équivoques dans les boîtes de nuit. En tant qu’adulte, on a bien le droit de faire ce qu’on veut de ses temps libres ! Mais le hic, c’est qu’il n’y a pas toujours que des adultes dans ces clubs. De nos jours, comme c’est le cas en ce moment, les jeunes prennent d’assaut les boîtes de nuit. Les mineures profitent énormément du fait qu’il n’y a pas vraiment de contrôle à l’entrée de ces lieux pour « s’infiltrer ». S. S., promoteur de spectacle, explique comment il contrôle les entrées : « les mineurs ne sont pas admis dans les soirées que nous organisons. A l’entrée, les gens veillent à ce qu’il en soit ainsi. Dans le doute, on demande les pièces d’identité des clients. » Ce contrôle à la « tête du client » est loin d’être fiable à 100%. Des adolescents échappent donc aux mailles du filet.

La majorité des jeunes, mineurs ou non, sont d’abord attirés par la musique et la danse. Mariam a 15 ans, elle en fait 20, elle explique : « Moi j’aime l’ambiance. Pendant l’année scolaire, mes parents sont stricts, ils ne me donnent pas d’autorisation de sortie. Les vacances c’est différent et j’en profite au maximum. » Mais très vite, ce plaisir innocent qu’ils recherchent leur ouvre la porte de Conakry-by-night. Clients au même titre que les autres, ils ont droit à l’alcool, au tabac, etc. Et ces jeunes, qui sont dans une phase de leur vie où ils veulent tout expérimenter, se laissent aisément emporter par la magie du soir.

« Pour être franc, je vais en boîte aussi pour voir des choses que l’on passe d’habitude dans les films. Je trouve çà grisant », raconte Ismaël, 16 ans, dans un demi-sourire. Lui et les autres jeunes de son âge sont loin de se douter que certains comportements nuisent fortement à leur équilibre. Mais c’est ça aussi, le développement social qui entraîne celui des mœurs.

 

 

(SOURCE LE DIPLOMATE)

 

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