Vol MH17: la guerre des «preuves» entre Washington et Moscou
Le long silence du Kremlin face aux accusations de la Maison-Blanche a donné du poids à l’expertise américaine.
Une semaine après, les raisons de la chute du Boeing 777 de la Malaysia Airlines, le 17 juillet, qui assurait un vol entre Amsterdam et Kuala Lumpur avec 298 passagers à son bord, demeurent officiellement inconnues. Quatre sources principales ont donné leur version, souvent contradictoires, des circonstances du drame: les Américains, les autorités de Kiev, les rebelles séparatistes prorusses et la Russie.
Les États-Unis sont très rapides à réagir. Le soir même du drame, le 17 juillet, des experts assurent qu’un missile sol-air est à l’origine de l’explosion du vol MH17. Le 18 juillet, le président Barack Obama affirme que le missile a été tiré d’une zone contrôlée par les rebelles «à cause du soutien de la Russie».
Peu auparavant, Samantha Power, l’ambassadrice américaine à l’ONU, avait expliqué que des «séparatistes avaient été repérés», le matin même du crash, en possession de missile Buk de type SA-11, capables d’abattre un avion à 10.000 mètres d’altitude, une hauteur où volait le Boeing MH17. «Il est improbable que les séparatistes puissent s’en servir de manière efficace sans personnel qualifié», a-t-elle souligné, évoquant l’aide de «personnel russe».
Le 20 juillet, le secrétaire d’État, John Kerry, déclare que les «preuves» accumulées par les services américains «désignent très clairement les séparatistes» comme les coupables et qu’il est «assez clair que (…) le missile est venu de Russie». Selon lui, dans les jours précédant le drame, 150 véhicules militaires, dont des systèmes Buk de type SA-11, avaient traversé la frontière, de la Russie vers l’Ukraine.
Il assure que ces mêmes Buk avaient été vus repartant en Russie dans la journée du 18 juillet. John Kerry rappelle aussi que Igor Strelkov, ministre de la Défense des séparatistes, s’était vanté sur Twitter d’avoir abattu un avion de transport. Mais Washington ne dévoile aucune de ses preuves. Le 23 juillet, de hauts responsables des services de renseignements avouent qu’il leur est impossible de dire qui a «appuyé sur le bouton», ni si des Russes étaient présents sur la batterie.
Les autorités de Kiev ont immédiatement accusé les séparatistes d’avoir tiré le missile. Dès le 17 juillet au soir, Kiev certifie n’avoir aucune batterie de SA-11 dans l’est du pays, ce que Washington confirmera. Le 17 juillet, les services secrets ukrainiens (SBU) rendent publiques plusieurs conversations téléphoniques qu’ils auraient interceptées. Dans l’une d’elles, on entend deux hommes, discutant après l’examen du site.
«Et alors?», demande l’un, présenté comme un Russe appartenant aux renseignements militaires (GRU). «C’est un avion à 100 % civil», répond son interlocuteur, qui serait un rebelle. L’enregistrement a été authentifié par les Américains.
Andreï Pourguine, affirme que pour « des raisons inconnues, le Boeing s’est éloigné de la trajectoire prévue et est descendu à 6.500 mètres »
Les services ukrainiens publient aussi, le 19 juillet, une vidéo, qu’ils disent datée de la veille, où l’on voit un système Buk SA-11 quitter l’Ukraine vers la Russie, avec l’un de ses missiles manquant. Kiev rappelle que les séparatistes avaient déjà abattu, avant le 17 juillet, deux appareils militaires ukrainiens, un Antonov et un Soukhoï SU-25. Le 23 juillet, Kiev affirme que deux de ses SU-25 ont encore été abattus.
Les rebelles séparatistes se sont vite défaussés, accusant Kiev de tout, mais ils peinent à convaincre, empilant les théories, parfois contradictoires. Le 18 juillet, des responsables de la République populaire de Donestsk (DNR) assurent ne pas avoir d’armes capables d’atteindre des avions à haute altitude, les 10.000 mètres de MH17.
Mais le 19 juillet, le vice-premier ministre du DNR, Andreï Pourguine, affirme que pour «des raisons inconnues, le Boeing s’est éloigné de la trajectoire prévue et est descendu à 6.500 mètres». Cette affirmation n’a jamais été confirmée, par qui que ce fût, ni répétée depuis. Le même Pourguine met aussi en cause la chasse ukrainienne, qui «a abattu le 777». «Leurs avions volent tous les jours dans la zone et nous attaquent.» D’autres chefs du DNR indiquent que Kiev avait plusieurs batteries de SA-11 dans la zone.
Les Russes disent avoir observé la montée « d’un avion ukrainien SU-25 en direction du Boeing malaisien, qui se trouvait alors à une distance de 3 à 5 km », soulignant que ce type d’avion « dispose de missiles air-air qui peuvent tirer jusqu’à 12 km »
La Russie est restée longuement silencieuse. Le 22 juillet, le général Kartapolov, de l’état-major russe, présente un dossier, avec des photos aériennes et des cartes, qui dirige vers Kiev les soupçons du drame. Moscou assure que «l’avion malaisien a changé de cap, et s’est écarté de son corridor vers la gauche jusqu’à 14 km. Pourquoi est-il sorti de son corridor, est-ce une erreur de pilotage ou un ordre donné par les aiguilleurs du ciel ukrainiens?», s’interroge l’officier.
L’armée russe dit aussi que Kiev disposait de deux ou trois rampes de missiles dans la zone. Mais surtout, les Russes disent avoir observé la montée «d’un avion ukrainien SU-25 en direction du Boeing malaisien, qui se trouvait alors à une distance de 3 à 5 km», soulignantque ce type d’avion «dispose de missiles air-air qui peuvent tirer jusqu’à 12 km». L’armée russe ne va pas jusqu’à affirmer que le SU-25 aurait tiré, semblant même préférer la théorie du missile.
De fait, Moscou n’ignore pas que les premiers examens des débris du Boeing laissent apparaître des traces et des trous de shrapnel caractéristiques des gros missiles autopropulsés de type SA-11. La Russie nie avoir «fourni aux insurgés des systèmes de missiles Buk ou d’autres matériels militaires».
Et souligne qu’elle apportera des preuves à sa théorie, accusant Washington d’affirmer sans rien présenter de concret. Pour les experts américains, le scénario russe ne «tient pas la route». Ils pointent la responsabilité de séparatistes qui auraient abattu le Boeing «par erreur».
Le Figaro