Rapports d’audit-Pourquoi tant de bruit ?

Une synthèse des rapports d’audit sur la gestion de dossiers économiques stratégiques sous la deuxième République a enfin été portée à la connaissance du public.

Et, comme il fallait s’y attendre, cette publication a suscité la polémique, même si elle a été bien accueillie par maints citoyens. Cependant, les commentaires sont le plus souvent dus, au mieux, à l’ignorance et, au pire, à la mauvaise foi ou à la passion politique. Il convient donc de situer les choses dans leur contexte. Il faut connaître la genèse pour bien juger la fin.

Disons-le avec force, le Comité d’audit et de surveillance des secteurs stratégiques de l’économie (CASSSE), a été créé par le Premier ministre Lansana Kouyaté en 2007 et puis redynamisé par le capitaine Moussa Dadis Camara en 2009. Après la prise du pouvoir par le CNDD, le chef de la junte militaire s’est vigoureusement intéressé à la gestion des finances publiques et des ressources de l’État sous le régime du président défunt, le général Lansana Conté.

Il a exaucé ainsi un vœu collectif ardent. Les Guinéens, scandalisés et martyrisés par la gabegie passée, voulaient voir la vérité éclater en plein jour et les coupables châtiés afin que ça ne se répète plus. Les coulages financiers étaient restés impunis et des patrimoines publics avaient été ratiboisés impunément sous les yeux ahuris des citoyens.

Le « Dadis Show » a connu l’engouement des Guinéens, au pays comme à l’étranger. Le fougueux capitaine a fait comparaître les présumés coupables en direct devant les caméras et nul n’ignore comment il les a traités. Pour y mettre enfin une forme légale, il a délivré, le 15 septembre 2009, plusieurs ordres de mission au CASSSE.

Le comité a été chargé d’auditer minutieusement des dossiers économiques importants dont la gestion avait suscité des doutes. Des hauts fonctionnaires s’étaient enrichis spectaculairement, on était fondé à croire qu’ils avaient trempé dans la corruption et la concussion.

Le comité d’audit a fait son travail et déposé ses rapports en février 2010 à qui de droit. Le capitaine Moussa Dadis Camara, blessé par balle par son aide de camp, le lieutenant Toumba Diakité, le 3 décembre 2009, a été évacué au Maroc et s’est finalement retrouvé hors circuit. Le ministre de la Défense, le général Sékouba Konaté, a dû assumer la présidence de la transition.

À ce poste, les accords de Ouaga de janvier 2010 l’ont chargé d’organiser la première élection présidentielle libre et démocratique de l’histoire guinéenne, dans la mesure où aucun acteur du régime en place ne pouvait y être candidat. Le premier tour du scrutin était prévu pour le 27 juin 2010. En février déjà, le CASSSE lui a remis les premiers rapports d’audit. Des candidats potentiels étaient mis en cause. Le général Sékouba Konaté aurait pu (ou aurait dû) publier les rapports.

Mais il ne l’a pas fait. Sans doute a-t-il voulu permettre à tous les leaders politiques de tenter leur chance et surtout éviter les interprétations malencontreuses et des frustrations susceptibles de compromettre l’unité nationale, dans un contexte déjà marqué par des tensions communautaires. Dans certaines situations, un homme d’État doit savoir discerner entre son devoir et son honneur.

Et ensuite il doit savoir choisir entre les deux. Il peut se retrouver ainsi en plein drame cornélien et, quoi qu’il fasse, il sera incompris. Certains le blâmeront, d’autres lui sauront gré. Mais les uns et les autres auront certainement tort, car ils n’auront pas vraiment compris ses motivations profondes.

En tout état de cause, il est maintenant clair que le général Sékouba Konaté ne voulait aider ni désavantager personne. Il est important de le souligner.

Il est tout aussi clair que ces rapports d’audit était disponibles bien avant l’arrivée du Pr Alpha Condé au pouvoir. S’il ne les a pas publiés immédiatement après son investiture, c’est sans doute par hauteur de vue et par égard pour l’unité nationale. Mais il ne pouvait ignorer plus longtemps l’attente lancinante des citoyens ni les appels pressants des organisations la société civile guinéenne.

Les synthèses des rapports ont donc été finalement publiées en ce mois de juillet 2014. Il aura fallu trois ans et demi. Si cette publication suscite aujourd’hui la polémique, eh bien qui se sent morveux se mouche.

Au demeurant, le changement et le redressement économique et financier, appelés de leurs vœux par les Guinéens, exigent une vision claire dans la gestion antérieure des secteurs économiques stratégiques et la fin de l’impunité pour les déprédateurs.

Les premiers rapports concernent le Projet de Relance de la Filière Coton (PRFC), Air Guinée, la Banque Centrale et la Compagnie des Bauxites de Kindia (CBK). Mais il y aussi le chemin de fer Conakry-Niger, le Fonds d’entretien routier et GUINOMAR. Selon l’inspecteur d’État, M. Massoud Oumar Thiam, « quelques rapports d’étape sont également disponibles. Ils concernent ENCO-5 (ndlr : une société de travaux publics), la SMD (ndlr : Société Minière de Dinguiraye)), GAETA et SÉRICOM, qui sont deux sociétés de Santullo, la SGP (ndlr : Société Guinéenne de Pétrole), SOMCAG, SÉMAFO et FRIGUIA. »

Pour sa part, le Président de la République a averti : « Personne ne peut empêcher le changement que j’ai décidé de faire. Moi je ne protège personne. Tous ceux qui ont mal géré, hier comme aujourd’hui, devront rendre compte au peuple. » Il a aussi précisé : « Nous ne sommes pas encore au niveau pénal pour dire qu’on va mettre les gens en prison. On est à la phase administrative. Chacun doit s’expliquer sur sa gestion. Donc, il faut que vous sachiez que nous ne reculerons pas. »

Pour l’honorable Amadou Damaro Camara, président du Groupe Parlementaire des Libéraux Démocrates, la publication n’a « pas de consonance politique, ceux qui ont géré doivent rendre compte, quelle que soit leur position aujourd’hui. Ces personnes sont suffisamment responsables pour qu’au besoin elles s’expliquent là-dessus. »

Les synthèses des rapports d’audit publiées sont des formes simplifiées et donc accessibles au grand public. Si on les lit en toute bonne foi, on se rend compte qu’ils sont dénués de toute passion. Et, à l’évidence, ils ne sont sous-tendus par aucune arrière-pensée et ils n’incriminent pas autant ceux que l’on croit. Ils disent seulement qui a fait quoi dans quoi et dans quelles circonstances. Ils ne disent pas plus.

Une chose est sûre, si certains anciens hauts fonctionnaires cités dans les rapports sont inquiets (et pour cause !), d’autres par contre sont rassérénés ; ils ne sont pas sur la liste de ceux qui ont détourné des fonds publics.

Concernant les préjudices subis par l’État dans ces malversations, l’inspecteur d’État, M. Massoud Oumar Thiam, a dévoilé que les montants compromis s’élèvent à 600 milliards de francs guinéens. Il a indiqué que les rapports disponibles seront transmis à l’Agent Judiciaire de l’État pour qu’il engage la procédure judiciaire.

Quant aux rapports provisoires et d’étape, ils seront traités et affinés. Ensuite, les rapports définitifs seront dirigés vers l’Agent Judiciaire. Mais les personnes mises en cause auront toute latitude de se défendre avant que la procédure judiciaire ne soit engagée.

Pour ceux qui voient le mal partout, le Professeur a martelé : « Moi je ne fais pas de politique électoraliste. Je ne suis pas fixé sur 2015, je vois la Guinée dans 40 ans. Je fais des routes qui seront pour les Guinéens dans 40 ans. Je ne suis pas préoccupé par l’élection, je suis préoccupé par ce que va être la Guinée dans 40 ans. Mais pour cela, il faut qu’on ait une gestion au service du peuple ».

La publication des rapports d’audit est l’aboutissement d’un processus enclenché juste après les bouleversements sociaux de 2006 et 2007. Les audits ont répondu à un point du protocole d’accord du 27 février 2007 qui a mis fin à la paralysie du pays. Ils sont l’émanation de la volonté populaire incarnée par les syndicats. Prêter au Pr Alpha Condé une manœuvre politicienne relève de l’ignorance ou de la mauvaise foi.

Toute la procédure sera transparente. L’action administrative sera contradictoire, l’action judiciaire sera régulière. Ceux qui n’ont rien à se reprocher seront blanchis, les coupables seront tancés par la loi. Il faut bien que la Guinée rompe avec l’impunité pour prendre son essor vers le développement. Où est le mal ?

 


Philan Traoré
Expert électoral du RPG Arc-en-ciel
666 93 00 05 / 628 35 36 08

About Author

Abonnez-vous à notre newsletter