Fermeture des frontières sénégalaises: « Il flotte dans l’air un attristant sentiment de méfiance, de frustration… », dénonce Kalifa Gassama Diaby
Lorsque deux frères se tournent le dos, la tristesse pointe le nez. Je suis triste et ma tristesse est sans limite. Le peuple de Guinée vit une épreuve difficile, et comme si cette épreuve ne suffisait pas, il s’estime abandonné et stigmatisé par un pays frère et ami.
Depuis l’apparition de l’épidémie Ebola dans mon Pays la Guinée, et la décision souveraine des autorités sénégalaises de fermer les frontières avec la Guinée, il flotte dans l’air un attristant sentiment de méfiance, de frustration et de contrariété entre les deux peuples frères.
Le peuple sénégalais et le peuple guinéen, ont les mêmes veines, il y coule le même sang. À plus de 7 mois d’épidémie d’Ebola en Guinée, aucun cas n’est sorti des frontières guinéennes pour un autre pays, hormis celui signalé au Sénégal. Le seul cas sorti de la Guinée fut pour le Sénégal, et cela, s’est passé pendant que ses frontières étaient fermées.
Cela pousse à réfléchir n’est-ce pas?
La solution pour notre protection à tous, demeure dans la collaboration, le partenariat, le contrôle, la surveillance, la prévention et la sensibilisation. Avec pour finalité la préservation des liens historiques d’amitié et de fraternité.
Rappelons quelques principes simples :
Il n’est nullement question de faire des procès ou de donner des leçons à un pays souverain et de surcroît frère et ami. Il est ici question d’un cri de cœur, d’un cri d’amour et d’un reproche fraternel et sentimental. Il est tout à fait légitime que les autorités sénégalaises aient le souci de protéger le peuple frère du Sénégal. Encore faut-il que cela se fasse de façon justifiée et appropriée. Il est tout à fait compréhensible que le peuple frère du Sénégal ait la crainte d’une épidémie potentiellement mortelle.
Nous ne souhaitons pas cela, et nous faisons tout, par esprit de responsabilité et de fraternité pour que cela n’arrive pas, ni au Sénégal, ni ailleurs. Encore faut-il que cette crainte soit rationnelle et ne se transforme pas en rejet de l’autre, de surcroît son frère.
Il est tout à fait normal que nos frères sénégalais soient vigilants. Encore faut-il que cette vigilance ne soit pas la lie de l’ostracisme et de la stigmatisation.
Je suis triste, et ma tristesse est sans limite.
Jamais je n’aurai cru que la terre sœur du Sénégal pourrait être un jour le lieu d’une triste et injustifiable stigmatisation des guinéens, à cause d’une épreuve sanitaire qu’on n’a pas choisi d’avoir ni chez nous, ni ailleurs. Jamais, oui je dis bien jamais je n’aurai pensé qu’être guinéen au Sénégal pouvait devenir un calvaire, un fardeau, voir même une humiliation.
Qui l’eut cru?
Je suis triste, et ma tristesse est inconsolable. Comment tourner le dos à son frère de sang dans l’épreuve? On ne croise pas la main quand son frère se noie. On ne ferme pas son cœur quand son frère pleure. Ce que vit le peuple de Guinée suffit en lui-même comme épreuve pour en rajouter. Les guinéens vivent très tristement l’attitude de leur pays frère à leur égard.
Pourquoi fermer les frontières alors que cela n’est ni recommandée par les instances sanitaires internationales, ni nécessaire ni justifiée, encore moins efficace? Si le Sénégal n’a pas connu (en dehors du seul cas malheureusement arrivé imprudemment sur son territoire) la présence de cette épidémie, ce n’est pas parce qu’il a fermé ses frontières. Non ce n’est pas cela.
Si le Sénégal n’a pas, heureusement, connu de cette épidémie, ce qui nous réjouit sincèrement, c’est tout simplement par que notre pays a pris de son côté des dispositions diverses de contrôle, de surveillance et de sensibilisation pour empêcher cela.
Qu’on ne s’y trompe pas!
Nous continuerons à agir ainsi, parce que nous avons le même souci pour nous-mêmes et pour les autres, notamment les pays et peuples frères et amis. Les Guinéens sont tristes de voir leurs frères et sœurs du Sénégal leur claquer la porte au nez.
Je suis triste et ma tristesse est profonde.
Comme si ces fermetures de frontières ne suffisaient pas, les guinéens se voient indexés, stigmatisés, ostracisés, épiés, rejetés, par conséquent humiliés dans un pays frère qu’ils portent dans leur cœur et dans leur sang. Un Sénégalais humilié et stigmatisé en Guinée c’est tout le peuple de Guinée qui s’humilie et qui se lèvera pour le défendre. Il n’y a de fraternité que lorsqu’on est capable de supporter les épreuves de son frère. Il n’y a d’amitié véritable que dans l’épreuve.
Au-delà des valeurs universelles qui consacrent les droits et dignités inaliénables de tout être humain, un sénégalais en Guinée ne doit ni ne peut souffrir d’aucune stigmatisation, d’aucun mauvais traitement, d’aucune violence singulière. La Guinée et le peuple de Guinée sont en droit d’espérer autant…
Je suis triste et ma tristesse est sans voile
Les mots fraternels et apaisants entre les deux peuples laissent de plus en plus place aux rancœurs indicibles d’une humiliation imprévue et inattendue. Les gestes fraternels et amicaux cèdent peu à peu devant la brutalité symbolique de ce malentendu. Les regards fraternellement savoureux laissent le champ aux yeux humides de fine tristesse.
Je suis triste et ma tristesse est sans repère
Je ne reconnais pas le pays de mon frère A.Fall, de M.Sy, de. O.Kane, et de ma sœur R. Rose Faye, de ma mère M.Dieng et de mon père M.Diouf. Mais je le dis net, je refuse de voir dans ces gestes injustifiés, dans ces attitudes infondées, dans ces regards inhabituels, dans ces ronronnements inappropriés, ceux mon peuple frère du Sénégal. Oui, je refuse de voir les choses ainsi. Le peuple de Guinée, mon peuple refuse de dire qu’il s’agit du Sénégal. Je refuse d’y croire, je refuse de céder aux récriminations générales et à la tentation de la rupture silencieuse. Il s’agit simplement d’un cauchemar me dis-je.
Le soleil se lèvera. Le jour arrivera, ces peuples frères se retrouveront sûrement avec le sentiment d’un cauchemar partagé. Je suis triste mais certain que beaucoup de sénégalais(e)s partagent ma tristesse. Ces frères et sœurs sénégalais(e), bien plus nombreux lèveront incessamment la voix, cette voix fraternelle sans prix ni limite, pour dire stop à l’insupportable stigmatisation des guinéens, oh j’allais dire des sénégalais…quelle différence? Car, c’est ainsi que j’ai toujours perçu l’Afrique, tout bon guinéen est un bon sénégalais. Et il n’y a de bon sénégalais qu’un bon guinéen.
Stigmatiser un guinéen, c’est stigmatiser un sénégalais!
Je suis sûr qu’ils feront entendre à travers leur voix douce de sagesse, de fraternité objective et historique, que le virus Ebola n’est pas synonyme de guinéen. Que le Guinéen, n’est pas porteur naturel de ce virus! Je suis certain que la voix de la sagesse retrouvera nécessairement sa place dans cet océan de malentendus et de subjectivité destructrice.
Je suis triste et ma tristesse est sans souvenir.
De tous ces combattants sénégalais du panafricanisme, j’attends votre voix stridente et vos pas cadencés de rappel à l’ordre.
À tous ceux qui croient qu’il n’y a d’avenir pour les peuples africains que dans la fin programmée de toutes ces frontières imaginaires, de tous ces nationalismes inappropriés, qu’attendez-vous pour rappeler à mon pays frère du Sénégal qu’on ne doit pas fragiliser les relations fraternelles de deux pays au destin lié, entremêlé et interchangeable.
Les guinéens sont vos frères et sœurs. Les sénégalais sont nos frères et sœurs!
À tous ces amis et frères sénégalais avec lesquels je rêvais, dans nos années d’Etudiants, d’une Afrique unie, aux forces rassemblées, aux regards fixés dans la même direction, aux politiques harmonisées, aux ambitions communes, je dis qu’il y’a pas plus belle occasion de mettre en œuvre ses convictions que lorsque tout tend à prouver le contraire.
Les Guinéens sont vos frères et sœurs. Les sénégalais sont nos frères et sœurs!
À tous ces respectables intellectuels sénégalais, j’en appelle à leur courage et à leur ténacité, comme ils ont toujours su le faire à des moments importants, pour rappeler le peuple et le politique à la lucidité, à la sérénité; et empêcher que ne se de creuse entre deux peuples frères des fossés de frustrations profonds aux murs crépus de tessons.
Les Guinéens sont vos frères et sœurs. Les sénégalais sont nos frères et sœurs!
À tous ces talentueux artistes qui savent mieux que quiconque ensorcelés les cœurs refroidis des peuples perdus dans les méandres de leurs mémoires embrouillées, l’heure est au rappel.
Les Guinéens sont vos frères et sœurs. Les sénégalais sont nos frères et sœurs!
À tous ces jeunes sénégalais qui portent en eux les mêmes rêves, les mêmes ambitions et les mêmes désirs que ceux de la Guinée, je conjure au réveil et à la retenue.
Les Guinéens sont vos frères et sœurs. Les sénégalais sont nos frères et sœurs!
Aux autorités sénégalaises, au-delà de la légitimité du souci qui les anime, le peuple de Guinée, cherche désespérément vos mains tendues et les berceuses d’un cœur ouvert à son frère voisin au destin inextricablement lié. Rien ne justifie la fermeture de ces frontières. Mieux que cela, on ne ferme pas sa porte à ses frères et sœurs dans le besoin. D’autres solutions, susceptibles de garantir aux deux peuples, la sécurité et l’attention qu’ils sont en droit d’attendre, existent.
Et c’est ensemble, qu’il nous revient, peuple de Guinée, peuple du Sénégal, de trouver les meilleurs voies et moyens afin de mieux garantir notre sécurité et notre fraternité respectives. Que certains groupes privés, des compagnies aériennes, ou certains pays nous quittent et nous abandonnent au moment où on a besoin de leurs soutiens et de leurs appuis quoi d’étonnant, ils n’ont que des intérêts à défendre, nulle place pour l’élégance amicale et pour l’humaine solidarité.
La vie des nations est ainsi. Mon pays se relèvera. Je dis non, ce geste inamical, inélégant ne convient pas à mon pays frère du Sénégal. Ce grand pays à l’élégance et à la solidarité historiquement prouvées. Je dis non, ce genre d’attitude ne peut être celle du grand peuple frère du Sénégal, à l’hospitalité légendaire.
Je suis triste et je souhaite en finir avec cette tristesse.
Le peuple de Guinée, uni, traverse un moment difficile à cause de cette épidémie d’Ebola. Mon peuple, celui de la Guinée, vaincra dans l’unité et la solidarité, cette épidémie. Notre souhait le plus précieux est que le peuple frère du Sénégal soit à côté de nous lorsque cette victoire arrivera. Pour que notre fraternité soit encore plus belle et plus forte.
Les gouvernements passent, les peuples demeurent…La mémoire des gouvernements n’est pas celle des peuples…Alors, respectueux peuple frère du Sénégal, vos frères et vos sœurs de Guinée cherchent vos mains fraternelles….et attendent le battement affectueux de vos cœurs….
Vive la Guinée
Vive le Sénégal
Pour que revivent l’amitié et la fraternité Guineo-sénégalaise….
M. KHALIFA Gassama Diaby
Ministre Guinéen des Droits de l’Homme et des Libertés
Publiques.