Lutte contre Ebola: la Guinée avoue son impuissance…
Un responsable du ministère de la Santé guinéen s’inquiète du risque d’instabilité politique dans son pays que pourrait entraîner la crise sanitaire.
«Aucun d’entre nous ne s’attendait à cette maladie, et la faiblesse de nos moyens de surveillance sanitaire nous a empêchés de réagir plus vite », a concédé mardi le Pr Aboubacar Sidiki Diakité, inspecteur général au ministère de la Santé guinéen. Invité en France par l’Académie de médecine, le président du comité national de crise sanitaire a raconté le désarroi de son pays face à la flambée de fièvre à virus Ebola.
«La maladie a commencé chez nous fin 2013, mais nous ne l’avons déclarée que le 21 mars 2014 à l’OMS lorsque le laboratoire P4 de Lyon a identifié le virus, a expliqué le Pr Diakité. La maladie était sans doute déjà présente chez nos voisins, mais y était passée inaperçue.»
Réflexe de repli
La Guinée, a-t-il admis, s’est d’abord trompée dans le message délivré. «Nous avons dit qu’il n’existait pas de médicaments contre cette maladie. Le réflexe africain est alors le repli : nous préférons mourir au sein de nos familles.» Depuis, le gouvernement s’efforce d’expliquer que les centres de soins sont là d’abord pour soigner les malades, et pas seulement pour isoler les mourants.
Il a fallu, aussi, apprendre à adapter ses stratégies aux diverses communautés qui peuplent la Guinée. Le secret, selon le Pr Diakité : s’appuyer sur les leaders locaux. «La presse et la radio ne suffisent pas. Les messages doivent être délivrés par les bonnes personnes, en qui les gens ont confiance.» D’autant, dit-il, qu’une grande partie de la population est analphabète. «Les habitants ne comprennent pas les mesures sanitaires.»
Le difficile suivi des cas contacts
Suivre, durant les 21 jours que peut durer l’incubation, les gens ayant été en contact avec un malade est un défi de taille. «Nous avons eu plus de 16.000 cas contacts au total, cela fait 3000 à 4 000 personnes à suivre tous les jours ! Il nous faut des moyens, des véhicules et des hommes. Si vous ratez un cas contact, vous créez un risque. À un moment, nous avons cru que nous venions à bout de l’épidémie et Médecins sans frontières a même failli fermer un centre de traitement. Mais des cas contacts et des cas suspects nous ont échappé, et de nouveaux foyers se sont créés.»
Les trois pays touchés (Guinée, Liberia et Sierra Leone) sont, selon le Pr Diakité, indissociables. «Nos populations sont constituées des mêmes communautés et nos trois pays sont liés : l’évolution de l’épidémie se fait sur la même courbe.»
Mobilisation insuffisante
Quant à la mobilisation internationale, elle est «en déphasage » avec la réalité, souffle-t-il pudiquement. Une réalité dont les instances internationales sont loin de mesurer l’ampleur : l’Organisation mondiale de la santé a répété mercredi, en diffusant son dernier bilan (4818 morts pour 13.042 cas), qu’il était bien en dessous de la vérité. «Il y a beaucoup de morts qui manquent », a déclaré à l’AFP un responsable de l’OMS, selon qui les décès pourraient en fait être deux fois plus nombreux… «Médecins sans frontières a été là dès la première heure, mais s’essouffle avec le temps. Nous nous réjouissons donc de la mobilisation française », a ajouté le Pr Diakité.
Car les conséquences d’une telle épidémie, a-t-il rappelé, peuvent être dramatiques. «Une famille avec un cas d’Ebola risque de perdre son travail et devient pratiquement sans ressources.» Ces difficultés économiques, et les errements des autorités, peuvent animer les ressentiments. L’équation est donc simple, selon le responsable guinéen : du risque sanitaire pourraient naître des troubles politiques. Avec, pour les trois pays touchés, le risque de replonger dans des guerres qu’ils ont déjà trop connues.
Lefigaro.fr