Ebola: FMI et Banque mondiale face à leurs ambiguïtés africaines
Le président de Guinée a été le premier surpris: face à lui, la patronne du FMI Christine Lagarde vient d’appeler à « augmenter les déficits » pour freiner l’avancée d’Ebola, s’éloignant de l’orthodoxie budgétaire défendue par son institution.
« Le FMI ne dit pas ça très souvent », admet-elle aussitôt. Le président Alpha Condé, dont le pays est durement frappé par l’épidémie, ne peut qu’en convenir: « C’est un vrai changement par rapport à ce qu’on entend d’habitude… »
Cet échange, début octobre à Washington, résume l’évolution autant que les ambiguïtés du FMI et de la Banque mondiale: les deux institutions délient aujourd’hui les cordons de la bourse pour enrayer l’épidémie mais sont accusées d’avoir affaibli les systèmes de santé publique en Afrique de l’ouest en imposant de sévères tours de vis budgétaires.
« (La responsabilité du FMI) est une évidence, qu’il faut cependant relativiser car les dirigeants ont toujours le choix de privilégier tel ou tel poste de dépense… et de moins détourner », affirme à l’AFP le professeur Olivier Bouchaud, spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital Avicenne, près de Paris.
– ‘Mains liées’ –
L’accusation renvoie plus précisément à la période des « ajustements structurels » mis en place dans les années 80-90 qui conditionnaient des prêts à une stricte discipline budgétaire et auraient conduit à des coupes dans les dépenses de santé.
« Les gouvernements avaient les mains liées par ces accords et n’ont pas eu les ressources nécessaires quand des épidémies ont éclaté », affirme à l’AFP David Stuckler, professeur d’économie politique à Oxford, en Angleterre.
Selon une de ses études couvrant la période 1996-2006, les dépenses de santé ont en moyenne progressé « environ deux fois moins vite » dans les Etats sous perfusion du FMI que dans les autres pays à revenu comparable.
Institution-phare du développement, la Banque mondiale aurait, elle, activé un autre levier en « défendant des projets instaurant des frais d’usagers pour la santé et en diminuant le rôle de l’Etat », assure à l’AFP Mohga Kamal-Yanni, experte santé à l’organisation Oxfam.
Le résultat serait, selon elle, visible dans les pays frappés par Ebola: « Pas de travailleurs de santé, pas de centres de santé et pas de médicaments ».
« Nos systèmes ont été mis à mal par une difficulté à investir dans les secteurs sociaux et particulièrement dans la santé », concède à l’AFP Dédé Ahoéfa Ekoué, ministre de l’Action sociale togolaise, dont le pays coordonne la lutte anti-Ebola dans la région.
La critique n’est pas nouvelle. En 2002, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz accusait le Fonds d’avoir « forcé » la Thaïlande à réduire ses dépenses de santé pendant la crise asiatique de 1997-98, au risque de saper la lutte anti-VIH. Le Fonds avait alors dénoncé des accusations « délétères ».
Mais dix ans après, le débat reste ouvert.
« Le monde extérieur prête au FMI et à la Banque mondiale bien plus d’influence qu’ils n’en ont vraiment », rétorque Amanda Glassman, experte au Center for Global Development de Washington.
Selon elle, les conflits ou la mauvaise gouvernance ont davantage pesé dans l’affaissement des dépenses de santé en Afrique saharienne, passées de 6,9% du produit intérieur brut (PIB) en 2005 à 6,5% en 2012, selon la BM.
– Infléchissement ? –
Interrogé par l’AFP, le FMI certifie que les choix budgétaires des gouvernements auraient été « plus difficiles » sans son aide et affirme même que les pays pauvres placés sous son assistance ont augmenté leurs dépenses sociales « de 1% en moyenne » sur cinq ans.
Plus généralement, les institutions de Bretton Woods avancent la même ligne de défense: elles auraient infléchi leur politique et feraient preuve de plus de souplesse.
Elles peuvent ainsi se prévaloir d’une vaste mobilisation contre l’épidémie actuelle. La Banque mondiale a débloqué près d’un milliard de dollars pour financer l’envoi de personnels de santé tandis que le Fonds a porté sa contribution à 430 millions de dollars en prêts ou allègements de dette.
« Ajustement structurel? C’était avant mon mandat et je n’ai aucune idée de ce que c’est », avait ironisé Christine Lagarde en avril, interrogée sur un futur plan d’aide au Ghana.
Du côté de la Banque mondiale, l’arrivée en 2012 à sa tête de Jim Yong Kim, médecin spécialisé dans les maladies infectieuses, aurait scellé cette nouvelle orientation.
« Au cours des cinq dernières années, le groupe Banque mondiale a modifié sa stratégie (…) pour aider les pays à renforcer leurs systèmes de santé », affirme à l’AFP une porte-parole de l’institution.
Leurs détracteurs restent toutefois sceptiques. Selon Mme Kamal-Yanni, des changements ont été actés dans les « quartiers généraux » mais « c’est parfois difficile d’en voir les effets sur le terrain ».
Afp