Mohamed Sylla, Syndicaliste à Strasbourg : « J’ai le lourd sentiment qu’en 2015, le peuple de Guinée paiera encore un lourd tribut »
Mohamed Sylla est un jeune guinéen qui réside à Strasbourg (France) après y avoir fait des études postuniversitaires. Aujourd’hui syndicaliste, il est Secrétaire départemental Adjoint en charge du Secteur Privé, pour sa branche syndicale.
Patriote, il a accepté de parler de son parcours professionnel et de son pays, la Guinée. Interview à bâtons rompus.
GuinéeTime : Présentez-vous à nos lecteurs.
Mohamed Sylla : SYLLA Mohamed, Juriste de formation (39 ème promotion UGAN). Dans mon entreprise, un leader mondial du discount alimentaire, je suis délégué syndical, délégué du personnel, membre du comité d’hygiène, Sécurité et condition de Travail (CHSCT). Depuis 2012, sur proposition de mon syndicat, j’ai été nommé par le préfet de Strasbourg comme conseiller du salarié. Je figure sur une liste préparée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE). J’ai été confirmé en Août 2014. Suis actuellement Secrétaire départementale Adjoint en charge du Secteur Privé pour le compte de mon syndicat.
Vous avez quitté longtemps votre pays pour des études de droit. Du droit au syndicalisme, quelle explication?
Mon intégration dans le milieu syndical français est le résultat à la fois d’un parcours universitaire et d’un engagement personnel. J’ai toujours été au service des autres. Mon orientation syndicale s’inscrit donc dans ce cadre.
Après ma formation de droit à l’université Robert Schuman de Strasbourg, j’ai décidé de mettre mes connaissances juridiques au service du syndicalisme, au service de mes collègues… Le syndicalisme est pour moi une conviction et un véritable épanouissement professionnel .Actuellement, je défend les intérêts de plus de 25.000 salariés et représente les salariés devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en qualité de défenseur syndical.
En tant que syndicaliste, vous avez suivi ces dernières actualités sur la grève syndicale en Guinée. Quelle analyse en faites vous?
Comme évoqué ci haut, le syndicalisme doit être au service des autres, non au service des politiciens ou au service exclusif de l’employeur.
Pour cela, un accent doit être mis sur la formation des leaders syndicaux en vue de mettre en place des structures solides et organisées. La crédibilité et l’efficacité des mouvements syndicaux en dépendent.
Cela dit, les revendications des principales centrales syndicales du pays dont la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) et l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG) sont légitimes et tiennent compte de la réalité du pays, de tous les secteurs d’activités. Je reste perplexe quand à la suspension anticipée de la grève: Des revendications légitimes des syndicats et une réponse très partielle du gouvernement.
La Guinée fait face à l’épidémie Ebola, en tant que Guinéen, comment jugez-vous la riposte déclenchée par les autorités du pays?
Ebola a fait beaucoup de morts en Guinée. Des enfants, des femmes et de nombreuses familles ont été très affectés. De ce point de vue, on peut s’interroger sur l’efficacité de l’Etat guinéen? L’Etat de façon générale doit protéger son peuple sur tous les plans : protection militaire, sanitaire …
Notre pays a été très défaillant dans la gestion de cette épidémie, les premières mesures ont tardé à intervenir. De l’extérieur, nous avions eu l’impression que le gouvernement a voulu mettre le voile sur cette épidémie. Peut être pour éviter l’isolement du pays. Ce qui est de mon point de vue une grosse erreur. Il eut fallu, aux premières apparitions de l’épidémie, mettre en place :
– les mesures d’isolement à plusieurs échelles (des familles, des quartiers, des villes, des préfectures …)
– Une communication suffisante.
– Le renforcement de la capacité des instances sanitaires…
– la mise en place d’une vaste campagne de sensibilisation en intégrant les leaders religieux.
L’anticipation de ces mesures pouvaient réduire considérablement le nombre de décès dû à l’épidémie Ebola.
Le pays a attendu l’appui international pour mettre un « Plan accéléré » en place. Ce qui est très dommage et triste …
Etes-vous, indirectement touché, par cette fièvre comme beaucoup de nos compatriotes de la diaspora?
En tant que diaspo, je suis directement touché par cette fièvre. Mon inquiétude grandit de jours en jours.
Le mot « indirectement » est donc inapproprié, la diaspora gère non seulement le quotidien de nos différentes familles mais elle représente aussi des milliers de micro projets au bénéfice de notre pays. Cette épidémie a donc affecté considérablement ces différents projets.
À titre d’exemples, un projet humanitaire pour appuyer le développement local de la ville de Coyah a été reporté car les partenaires français et luxembourgeois sont réticents en raison d’Ebola. Nous travaillons actuellement sur la définition d’un nouveau calendrier. La visite en Guinée du président français, François Hollande est un acte très positif et une contribution très efficace pour le développement des partenariats.
Vous avez suivi la gestion du Pr Alpha Condé de la Guinée, Qu’en pensez-vous?
L’opposant historique au pouvoir en Guinée avait suscité beaucoup d’enthousiasme et d’euphorie.
En 2010, Alpha Condé, était le seul « candidat propre ». Il n’était pas, contrairement aux autres candidats (anciens ministres et proches du pouvoir de feu Lansana Conté) mêlé à la gestion catastrophique du pays. C’est pour cette raison que j’avais personnellement lancé un appel à voter pour Alpha Condé en 2010 en organisant plusieurs réunions restreintes dans les grandes villes de la France (Paris, Strasbourg, Lyon, Marseille …). Nous avions fait passer le mot à nos familles en Guinée.
Après les premiers mois du pouvoir d’Alpha Condé, cette euphorie a vite tourné à la déception, exactement comme la période qui a précédé les indépendances en Afrique. Le choix des hommes et les actes posés par Alpha Condé n’étaient pas ambitieux.
De ce fait, on constate aujourd’hui que Le pays croule encore sous le faix de la corruption, la gestion catastrophique des services publics. Le régionalisme et l’enrichissement illicite minent encore notre peuple…
Le climat politique reste tendu entre pouvoir et opposition. Avez-vous l’impression que les présidentielles de 2015 sont à craindre dans ce pays?
C’est un sujet très sensible, entre une opposition qui manque totalement de patriotisme et un président qui est vraisemblablement prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, où situer l’intérêt du guinéen ?
Mes mots sont peut être très durs vis à vis des deux partie (opposition et pouvoir). Ce sont des mots qui résultent d’une véritable colère. Une colère tout à fait saine, celle de voir mon pays reculé au fil des années par le faits des intérêts individualistes. J’ai le lourd sentiment qu’en 2015, le peuple de Guinée paiera encore l’addition. Hélas…
Quelle est votre vision de l’avenir de la Guinée, étant loin de ce pays?
Vous savez, il y a quelques mois, j’ai vu un reportage sur la Guinée. Un reportage d’un quart d’heure. Il parlait d’Ebola et de grande pauvreté. Je me souviens avoir été triste.
Je me suis alors demandé comment mon pays en est arrivé là. Une rage. Un silence.J’ai senti grandir en moi un élan douloureux. Et j’ai versé une larme.
Cette rage.
Cette colère tout à fait saine, je suis convaincu qu’elle est commune à tous les guinéens de la génération. Et c’est cela qui est formidable. Car, je ne doute pas que cette jeunesse sacrifiée saura sublimer la rage. Je suis persuadé qu’elle fera de cette pulsion le moteur du changement.
En un mot comme en mille, je crois en mon pays. Je crois en mon pays parce que quand Pandore a ouvert sa boite, seul est resté l’espoir.
Avec guineetime