Préparation, traque, mise en scène : les révélations du « Monde » sur les attentats de Paris…

Un mois après les attentats commis en région parisienne, Le Monde a pris connaissance des premiers éléments de l’enquête de police.

On apprend notamment que les frères Kouachi ont coordonné leur attaques contre le siège deCharlie Hebdo avec le tueur de l’Hyper Cacher de Vincennes, Amedy Coulibaly. Retour sur les principales révélations de l’enquête.

Coordination

La nuit qui précède l’attentat contre Charlie Hebdo, vers minuit, Chérif Kouachi sort de chez lui. Les policiers ont acquis la conviction qu’il retrouve Amedy Coulibaly. Le matin, à 10h19, un peu plus d’une heure avant la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo, les frères Kouachi envoient un dernier SMS à Coulibaly, probablement pour l’avertir de leur départ. Le contenu de ce SMS n’est pas connu mais il a très probablement servi de « top départ » à leurs attaques..

On savait que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly s’étaient croisés en prison, que leurs épouses étaient proches, qu’ils partageaient de nombreux amis communs. Désormais, on est certain qu’ils ont coordonné leurs attaques contre Charlie et l’Hyper Cacher. Et qu’ils se sont préparés méticuleusement. Le Monde retrace la journée du 6 janvier chez les Kouachi et les heures qui ont précédé l’assaut contre la rédaction de Charlie.

De longs mois de préparation

L’attaque du 9 janvier contre un supermarché casher de l’Est parisien n’avait rien d’un acte spontané ni d’une réponse à la tuerie de Charlie Hebdo, deux jours plus tôt. Amedy Coulibaly, 32 ans, délinquant expérimenté, a effectué plusieurs recherches sur Internet, identifiant plusieurs commerces juifs dans Paris, avant de choisir l’Hyper Cacher. Il a même vérifié les heures d’ouverture du supermarché.

Depuis plusieurs mois, le tueur brouillait les pistes, utilisait plusieurs téléphones. A partir de décembre 2014, il achète armes et matériel grâce à l’aide de complices qui ont grandi avec lui dans une banlieue de l’Essonne, au sud de Paris. Les hommes de main du jeune homme ont été mis en examen en janvier. Le Mondeles décrit comme des « sous-traitants » du djihadiste.

Moisson d’indices

Le 7 janvier, une voiture s’encastre dans un poteau, dans le 19e arrondisssement de Paris. Les frères Kouachi sortent du véhicule, armés jusqu’aux dents. Ils prennent possession de la voiture de Patrick, un retraité de 64 ans. « Si les médias t’interrogent, tu n’as qu’à dire « Al-Qaida Yémen » ! », lancent-ils au chauffeur, avant de le laisser récupérer son chien sur la banquette arrière. Les deux frères viennent d’assassiner douze personnes au siège de Charlie Hebdo.

C’est le premier acte de trois jours de cavale pour les terroristes. Derrière eux, ils laissent armes, carte d’identité et même ADN à la disposition des enquêteurs, sans jamais chercher à effacer leurs traces ni faire taire les témoins. Au contraire.Le Monde raconte cette traque, qui s’achèvera sous le feu des gendarmes du GIGN à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne).

Films amateurs en GoPro

Enfermé dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris, Amedy Coulibaly se filme avec une caméra GoPro, qu’il a fixée sur sa poitrine avant d’entrer dans le supermarché. Le 10 janvier, après sa mort sous les balles de la force d’intervention de la police, une autre vidéo apparaît sur le Web. Depuis son appartement, le terroriste y proclame son allégeance à l’Etat islamique (EI) et revendique les attaques. Des complices se sont ensuite chargés du montage et de la diffusion.

Depuis la boîte mail de l’internaute qui l’a publiée, jusqu’aux mises en scène des djihadistes français, Le Monde est remonté aux origines de cette vidéo et raconte comment une mouvance d’activistes proche de l’organisation terroriste assure ce travail de propagande.

 

Une heure avant « Charlie », le dernier SMS

L’Histoire retiendra que c’est très certainement par un banal SMS que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ont lancé le coup d’envoi de leur course mortifère. On n’en connaît ni la longueur ni le contenu. Mais on sait son heure, son expéditeur, son destinataire. Et ces simples éléments, dont Le Monde a pu prendre connaissance, lèvent aujourd’hui tous les doutes qui ont pu entourer la concomitance des actes des trois hommes début janvier, à Paris : il s’agissait bien d’attentats coordonnés.

Après avoir minutieusement épluché des centaines d’expertises téléphoniques, les enquêteurs ont pu vérifier que le message avait été envoyé le 7 janvier au matin. Qu’il a été localisé par la borne du domicile de Chérif Kouachi, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Qu’il a ensuite immédiatement été reçu par l’une des treize lignes de téléphone avec lesquelles jonglait Amedy Coulibaly depuis quelques mois. Et qu’il a été écrit à 10 h 19, soit à peine une heure avant l’attaque contre Charlie Hebdo.

Si on savait qu’au moins Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se sont croisés en prison, que leurs épouses étaient proches et faisaient du sport ensemble, que leurs réseaux de connaissances et d’amis étaient intimement mêlés, jamais, jusqu’à présent, on n’avait pu établir la preuve qu’ils s’étaient formellement concertés dans leurs attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, les 7 et 9 janvier, à Paris. C’est maintenant chose faite.

 

Amedy Coulibaly et ses « sous-traitants »

Amedy Coulibaly était un professionnel de la délinquance. Il en maîtrisait les réseaux, le langage, les techniques de prudence, l’art de la dissimulation. Si l’attaque de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, le 9 janvier, a pu laisser croire, un temps, qu’il s’agissait d’un accès de violence mimétique en réponse à la tuerie de Charlie Hebdo deux jours plus tôt, les premiers éléments de l’enquête dont Le Monde a pu avoir connaissance montrent que l’ex-caïd de cité a au contraire minutieusement préparé son acte.

Alors qu’on ignore encore presque tout de la manière dont Chérif et Saïd Kouachi ont pu préparer leurs actes, il y a beaucoup moins de zones d’ombre dans la façon dont a pu agir Amedy Coulibaly. Rien que l’exploitation de ses données Internet prouve qu’il n’est pas entré dans l’Hyper Cacher par hasard. Avant le drame, Amedy Coulibaly a effectué plusieurs recherches sur trois restaurants casher et l’Hyper Cacher. Il a finalement jeté son dévolu sur le supermarché de la porte de Vincennes, dont il est allé jusqu’à vérifier les horaires d’ouverture.

Les complices présumés nient vigoureusement avoir eu connaissance de ses projets terroristes

Depuis le 20 janvier, quatre personnes de l’entourage d’Amedy Coulibaly sont mises en examen, notamment pour « association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre des crimes d’atteinte aux personnes ». Trois d’entre elles ont grandi comme lui en banlieue sud de Paris, dans l’Essonne. Elles sont soupçonnées de l’avoir aidé à s’équiper, s’armer.

De la prise de vues à la mise en ligne, itinéraire de la vidéo de Coulibaly

Qu’a cherché à faire Amedy Coulibaly en manipulant ordinateurs et téléphones dans le huis clos meurtrier de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris ? Comment, dès le lendemain, une vidéo de revendication le mettant en scène s’est-elle retrouvée sur Internet ?

Selon des éléments dont Le Monde a pu prendre connaissance, le preneur d’otages a trouvé du temps à consacrer à une caméra GoPro, comme Mohamed Merah l’avait fait pour filmer ses crimes – et se mettre en scène. Amedy Coulibaly la portait, fixée au niveau de la poitrine, lors de son entrée dans l’Hyper Cacher. Selon des témoignages d’otages, il serait parvenu à transférer des données.

Le 10 janvier, dans une séquence de 7 minutes diffusée sur le Web et filmée entre le 8 janvier, après la tuerie de Charlie Hebdo, et le 9 janvier, avant la prise d’otages de la porte de Vincennes, Amedy Coulibaly discourt depuis son appartement et proclame son allégeance à l’Etat islamique (EI). Un document qui pose d’emblée la question de complicités.

D’une part à cause du montage, qui s’ouvre par des extraits de l’assaut des forces de l’ordre à l’Hyper Cacher, un élément qui n’a pu être ajouté qu’après sa mort. D’autre part, les enquêteurs ont en outre isolé des ombres et des paroles prononcées par des tierces personnes. Enfin, sa diffusion laisse une impression de déjà-vu : le mode opératoire portant la signature des activistes proches de l’EI, lesquels livrent quotidiennement des vidéos en suivant une « procédure » rodée.

Adresses jetables

« Soldat du califat » apparaît ainsi le 10 janvier à 17 h 55 sur la plateforme américaine Archive.org, un rendez-vous habituel des adeptes de l’EI, qui affectionnent cette bibliothèque numérique. Archive.org présente un double avantage : la modération y est inexistante et seule est réclamée une adresse mail pour tout droit d’entrée.

Sans surprise, « b911178da@mohmal.com », l’internaute qui a chargé la vidéo, a disparu. Cette boîte mail s’est « autodétruite » quarante-cinq minutes après son ouverture… Soit le temps de se « loguer » et de déposer ses contenus. La combine, connue par les djihadistes, porte le nom d’« adresses jetables », fournies par des sites qui les génèrent anonymement.

Les ordinateurs par lesquels ont transité les fichiers n’ont probablement jamais « habité » à l’adresse indiquée : les adresses IP – la signature unique qui permet à une machine de communiquer avec un réseau – des internautes qui ont chargé la vidéo sur Archive.org, YouTube ou Dailymotion les localisent en Europe ou aux Etats-Unis, ce qui ne veut rien dire. Plusieurs d’entre elles renvoient en fait à des serveurs du réseau d’anonymisation TOR, qui permet à un utilisateur de cacherson adresse IP et la remplacer par d’autres. Le logiciel, utilisé au départ par des dissidents et des hackeurs, permet en théorie une connexion intraçable.

La vidéo mise en ligne, il reste à la diffuser sur les réseaux sociaux. A commencerpar Twitter, le terrain de chasse favori des djihadistes, qui y déploient leur propagande. Dans cette « djihadosphère », où des milliers de comptes échangent petites et grandes informations, certains proches ou membres de l’EI ont acquis une notoriété telle qu’être diffusé par leurs soins est l’assurance d’une exposition maximale.

C’est exactement ce qui se passe dans les premières heures du 11 janvier quand la vidéo est relayée par des comptes proches du « Front médiatique de soutien à l’Etat islamique », une mouvance d’activistes proches du cœur de l’organisation terroriste, dont elle relaie la communication. L’effet boule de neige est immédiat et la vidéo se diffuse à la vitesse grand V.

Qu’est-ce qui relie Amedy Coulibaly avec les comptes djihadistes qui se sont chargés de diffuser sa vidéo ? Son cheminement reste une zone d’ombre et en filigrane un lien, même indirect, entre le terroriste et l’EI.

L’Etat islamique n’a pas tardé à surfer sur l’effet « Coulibaly ». Depuis la mi-janvier, la France est devenue une obsession, la cible numéro 1 : plus d’une dizaine de vidéos ont été diffusées en mettant en scène des djihadistes français ou francophones qui multiplient les menaces. La dernière a été postée samedi 14 février… sur le site Archive.org.

Le Monde

 

 

 

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