Guinée : En attendant le changement ! (Tibou Kamara)
La Guinée a une chance unique : indépendamment des époques et des événements, elle ne cessera jamais d’être une terre d’espérance et d’avenir, portée par l’élan de la liberté et du progrès, un pays animé d’un désir de dignité depuis le coup d’éclat d’une indépendance pleine de défis. La Guinée a un défaut constant : l’habitude de décevoir et d’être souvent responsable de ses malheurs. A quoi ressemble le pays à l’orée du second mandat du président Alpha Condé, après les débuts prometteurs ? Va-t-on revivre le premier mandat marqué par une longue série noire d’une instabilité chronique et de l’apparition funeste d’Ebola ? Où en est le pays ?
Une opposition qui n’a pas d’autre recours que les manifestations, n’a pas d’autre choix que de descendre dans la rue pour se faire entendre, montrer qu’elle est toujours là et compte encore, malgré les revers subis. Ça tombe bien : en face, un président qui ne semble s’épanouir que dans l’adversité et la confrontation permanente, comme si ce n’est que dans la difficulté qu’il retrouve ses meilleures facultés et des aptitudes insoupçonnables.
Entre le pouvoir confronté à la survie quotidienne et l’opposition depuis toujours engagée dans la résistance, une population qui a perdu ses repères et ne sait pas de quoi demain sera fait, à quel lendemain elle pourrait s’attendre. Pendant ce temps, la République peine à trouver ses marques, parce que les valeurs qu’elle incarne ne sont pas compatibles avec les habitudes acquises et les intérêts de circonstance. A défaut d’un dialogue franc et direct avec le pouvoir et d’une relation confiante aussi, le climat politique se dégrade au risque de fragiliser la démocratie naissante et de rompre un équilibre social, si dépendant des humeurs politiques dans le pays et de la guerre sans fin des »égos ».
Tout se passe comme s’il y avait une brusque accélération de l’histoire et que chacun avait un rendez-vous avec l’avenir qu’il ne voudrait pas manque, même si pour cela il faut créer un désordre politique et défier toute éthique et morale. Conséquence : on a des opposants irréductibles qui ont consacré du temps et de l’énergie à pourfendre un pouvoir et qui en deviennent les » défendeurs » et nouveaux boucliers par l’opération du saint esprit. Des dignitaires déchus ou se sentant lésés disputent à l’opposition par la même opération de saint esprit, sa vocation naturelle : critiquer, dénoncer…Plus personne ne sait qui est de l’opposition, qui est de la majorité, puisque ce n’est pas une question de conviction ou d’idéologie, mais c’est en fonction de l’intérêt du moment, autant conclure, que »c’est à la tête du client ».
Le professeur Alpha Condé qui est le premier président qui a milité dans l’opposition des années durant avant d’accéder au pouvoir, s’est assez imprégné des servitudes de la lutte politique et ne peut ignorer la culture démocratique. Cependant et pour le moment, il n’a pas réussi la mutation nécessaire pour changer les mentalités et accélérer le processus démocratique. Comme par le passé, dans un contexte plus sensible encore de clivages ethniques et de communautarisme exacerbé, le pouvoir et l’opposition ne se considèrent pas comme des partenaires de la cause démocratique, mais comme ennemis mortels d’un enjeu de pouvoir. Et pourtant, la loi instituant le statut de chef de fil de l’opposition, un acquis démocratique, a suscité l’espoir d’une cohabitation pacifique et d’une meilleure compréhension entre le pouvoir et l’opposition liés par ce pacte républicain. Malheureusement, on en est resté à l’effet d’annonce parce que cette loi souffre comme le pays des contentieux interminables entre le pouvoir et ses opposants.
Une équipe de cadets et de juniors pour une compétition-senior !
Pourquoi le pouvoir, chaque fois qu’il semble avoir un avantage se crée des complications inutiles qui crispent le pays et ravivent les risques d’instabilité politique et de conflits sociaux ? Le second mandat du professeur Alpha Condé avait bien commencé avec la volonté affichée d’apaiser le pays et de rassembler les Guinéens. Aujourd’hui, après les grandes promesses et l’immense espoir, le pays a recommencé à douter et les Guinéens se montrent préoccupés par un horizon de plus en plus incertain. Le gouvernement est isolé dans la majorité et contesté dans l’opinion. Il est dominé par de nouveaux venus sans ancrage politique et social ni assise populaire dans le pays. Le président Alpha Condé, s’il veut rétablir son autorité, reconstituer et renforcer sa majorité et se prévaloir d’une légitimité plus grande dans le pays, est obligé d’entendre les cris qui s’élèvent dans la Guinée profonde, d’écouter les récriminations de ses partisans frustrés et lésés par ses actes et ses choix. Il doit dissoudre le gouvernement et faire l’effort cette fois de consulter ses partenaires et alliés avant de publier sa liste de ministres. Un gouvernement est le creuset de la diversité politique, sociale, culturelle…et ne peut rencontrer l’adhésion que si chacun s’y reconnaît un peu à travers le savant dosage dans les équilibres géo-politiques. Le RPG, le parti au pouvoir et pierre angulaire de la majorité présidentielle, pourrait avoir la moitié des ministres que le président pourrait nommer en accord avec la base et le sommet du parti. Quant aux partis alliés, ils pourraient proposer des noms pour les places que le président voudra leur accorder au lieu que celui-ci ne procède comme maintenant à des cooptations des personnalités souvent les moins représentatives de leurs intérêts politiques. Enfin, comme partout, le chef de l’Etat, à sa discrétion, après avoir »servi » tout le monde peut faire une ouverture à l’opposition ou porter son choix sur qui il veut.
Le professeur Alpha Condé , sait mieux que quiconque, même si certains de ses actes en font douter que la politique est une question de rapport de forces et d’équilibre dans les choix, que la démocratie est un régime d’ouverture et de partage et de cohabitation entre les forces qui comptent dans le pays et les personnes les plus représentatives de la société. On a jamais une majorité suffisante pour gouverner seul, ni une légitimité trop forte pour décider seul sans consulter personne et sans concertation préalable. L’histoire récente, à ce propos, est un avertissement pour chacun et une leçon pour tous.
Auteur : Tibou Kamara