Cellou Dalein Diallo à Rfi: »La rue a été un recours qu’on a utilisé malgré nous »
2017 est une année faste pour Alpha Condé. L’homme préside à la fois la Guinée et l’Union africaine. Mais son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, ne s’avoue pas vaincu et vise la présidentielle de 2020. De passage à Paris, le chef de file de l’opposition guinéenne répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Voilà plus de six ans que vous vous opposez à Alpha Condé, mais celui-ci a été réélu haut la main en 2015. Et aujourd’hui, il est même président en exercice de l’Union africaine. Est-ce que vous ne perdez pas du terrain par rapport à lui ?
Cellou Dalein Diallo : Non. Pas du tout parce qu’il n’a jamais été élu dans des élections transparentes. En 2015, il y a eu une fraude massive. On a commencé par tripatouiller le fichier et vous ne trouverez dans aucun pays où le total des électeurs représente 95% de la population. Ils ont procédé à un enrôlement massif des enfants dans les circonscriptions réputées acquises à monsieur Alpha Condé pour qu’il puisse gagner.
En octobre 2016, après cinq ans de bras de fer, vous avez accepté de signer un accord politique avec Alpha Condé. Pourquoi ce changement de stratégie, parce que quelquefois il vaut mieux se parler que de s’affronter ?
Oui, on a toujours privilégié le dialogue et la concertation. La rue a été un recours qu’on a utilisé malgré nous, lorsqu’il n’y a aucune volonté politique d’ouvrir le dialogue. Nous avons organisé une marche pacifique, le 16 août, qui a mobilisé près de 700.000 personnes. Le lendemain, monsieur Alpha Condé m’a écrit une lettre pour dire qu’il souhaite qu’on se rencontre. Et à l’issue de cette rencontre, on a décidé d’aller au dialogue, moyennant un engagement solennel de sa part de respecter et de faire respecter toutes les décisions qu’il résulterait de ce dialogue. Le malheur, c’est que monsieur Alpha Condé ne respecte jamais les engagements qu’il prend lors des dialogues politiques. Les manifestations nous coûtent très cher. On a perdu plus de 80 compatriotes tués à bout portant par les forces de l’ordre. Jamais une enquête n’a été diligentée. Jamais une sanction administrative n’a été prononcée à l’endroit des responsables de la police et de la gendarmerie.
Au terme de cet accord d’octobre 2016, les élections locales devaient avoir lieu en ce mois de février, mais elles ont été reportées sine die. Pourquoi tenez-vous tant à ces élections ?
Posez la question contraire: pourquoi monsieur Alpha Condé ne veut pas organiser les élections locales ? Le mandat des élus locaux est échu depuis décembre 2010. Non seulement il ne les organise pas, mais il nomme des militants zélés de son parti, comme chefs de quartier, chefs de district, maires des communes urbaines ou rurales, pour que ces auxiliaires, précieux pour la fraude, puissent être en place. La Côte d’Ivoire a organisé ses élections, le Mali, le Sénégal. Tous les pays à côté. Lui, jusqu’à présent depuis son installation en 2010, il refuse systématiquement d’organiser les élections locales.
Vous les espérez d’ici la fin de l’année ?
Nous allons l’exiger.
Selon la Constitution, le président n’a pas le droit de se représenter en 2020. Mais aujourd’hui, quand on lui demande s’il va respecter la Constitution ou s’il va la faire modifier, Alpha Condé refuse de répondre. Cela vous inquiète ?
Oui, cela m’inquiète dans la mesure où tout le monde a constaté qu’il entretient personnellement une ambiguïté là-dessus alors que la réponse à une telle question était simple : j’ai juré de respecter et de faire respecter la loi de la République ; je ne violerai pas la Constitution ; je ne la modifierai pas. Aujourd’hui, tenez-vous bien, le directeur général des services de police organise des meetings pour exiger une présidence à vie pour monsieur Alpha Condé. Il ne réagit pas. Au niveau de son parti aujourd’hui, beaucoup de ministres organisent des meetings pour qu’Alpha puisse avoir un troisième mandat.
Mais pour l’instant, il ne s’exprime pas non plus dans ce sens ?
Il ne s’exprime pas dans ce sens, mais il entretient l’ambiguïté. Cela, déjà, c’est suspect de sa part.
Alors si Alpha Condé lance une réforme constitutionnelle en faveur d’un troisième mandat. Comment réagirez-vous ?
Ce sera par la rue parce que là, ce sera violer son serment, ce sera violer la Constitution parce qu’elle est claire sur cette question-là : la durée et la limitation des mandats ne sont pas modifiables. Je pense qu’on a besoin de la stabilité des institutions et le peuple de Guinée n’acceptera pas. Ce ne sera pas une question d’opposition ou de l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée]. Ce sera une question posée aux Guinéens et la rue sera peut-être le recours le plus efficace.
Contre cet éventuel projet, l’opposition a créé un Front uni contre un troisième mandat. Mais vous-même et votre parti l’UFDG, est-ce que vous n’êtes pas affaibli par le ralliement au pouvoir de votre ancien allié, Sidya Touré ?
Pas du tout. L’UFDG continue de prospérer. Aujourd’hui, je viens d’effectuer une tournée dans la région forestière et en Haute-Guinée, des régions qui étaient jusque-là considérées comme les fiefs d’Alpha. Les gens sont déçus de cette gouvernance. Ils sont confrontés à une misère inexplicable. Par contre, monsieur Sidya Touré a fait le choix de rejoindre la mouvance, mais ses militants ne le suivent pas, heureusement.
Vous êtes en France pour rencontrer notamment les personnalités politiques. Est-ce que Paris a joué un rôle positif ou négatif ces dernières années vis-à-vis de la démocratie guinéenne ?
Négatif plutôt. La France a financé par l’intermédiaire de la Francophonie le processus électoral. Mais il y avait quand même des soutiens visibles à monsieur Alpha Condé.
Mais qu’est-ce qui vous fait penser que François Hollande a soutenu Alpha Condé ?
Parce que nous n’avons pas reçu l’appui de la France. Tous les accords politiques qu’ils ont signés et qui portaient la signature de l’ambassade de France depuis 2013 n’ont pas été appliqués. Alpha n’a pas voulu les appliquer. Et on n’a pas eu le soutien de la France dans l’application des accords politiques qui devraient permettre d’améliorer le processus électoral.
Et aujourd’hui, qu’attendez-vous d’Emmanuel Macron ?
De ne pas continuer à soutenir des amis au nom de l’international socialiste.
Avant le premier tour de la présidentielle française, Alpha Condé en visite à Paris a eu le flair politique de rencontrer le candidat Macron. Ne craignez-vous pas que du coup, Paris reste favorable à votre adversaire ?
Justement, il faut éviter que cela soit sur la base des relations personnelles qu’on définisse les relations entre Etats. C’est autour des valeurs partagées qu’on doit bâtir une coopération durable. Je ne pense pas que monsieur Macron, parce qu’il a rencontré Alpha Condé, restera indifférent aux violations des droits humains, aux violations des règles de la démocratie et l’Etat de droit.
Par Rfi