Guinée : Cellou Dalein, le technocrate devenu figure de l’opposition (TV5 Monde)

Le 18 octobre 2020, les Guinéens sont appelés à élire leur président. Ils auront le choix entre douze candidats mais, une fois encore, le scrutin devrait se résumer à un duel entre le président sortant, Alpha Condé, candidat à un très contesté troisième mandat, et Cellou Dalein Diallo, le chef de l’opposition. Le leader de l’UFDG est candidat pour la troisième fois.

L’homme est souriant et toujours courtois. Il parle paisiblement et ne semble jamais pouvoir s’emporter. Cellou Dalein Diallo est, sur ce point comme sur tant d’autres, l’antithèse du président sortant Alpha Condé.

Pour la troisième fois cette année, Cellou Dalein Diallo se lance dans la course sous les couleurs de l’UFDG, l’Union des forces démocratiques de Guinée.
Depuis 2010 et l’élection d’Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo est le visage de l’opposition guinéenne. Il est aussi celui qui s’est approché le plus près de la magistrature suprême.

Dans les urnes, tout d’abord. En 2010, il arrive très largement en tête du premier tour, réunissant presque deux fois plus de suffrages qu’Alpha Condé. Et pourtant, au second tour, Condé triple quasiment ses voix et l’emporte face à un Cellou Dalein Diallo qui n’a pas su engranger les soutiens entre les deux rounds. « Il y a eu un loupé », reconnaît Hadiatou Djinkan Diallo qui dirige l’UFDG en France, ajoutant que « face à Alpha Condé qui se préparait depuis cinquante ans, Cellou Dalein Diallo participait à sa première présidentielle et a décidé de miser sur l’honnêteté des institutions (…) Aussi, au nom de la paix et par respect pour le parcours d’Alpha Condé, il a décidé de laisser passer ».

De là à penser que Cellou Dalein Diallo n’est pas ce qu’on appelle « un animal politique », il n’y a qu’un pas que l’on est tenté de franchir, conforté par l’exploration de son parcours.

« Guinéen lambda » 

Le chef de l’UFDG naît le 3 février 1952 à Labé, au centre de la Guinée, dans les paysages montagneux du Fouta-Djallon. Peul, il appartient à une grande famille d’imams.
Ses études le conduisent à Conakry où, de diplômes en diplômes, il va devenir un grand commis de l’Etat. « Il a un parcours typique de Guinéen lambda, estime Hadiatou Djinkan Diallo. Il a fait tout son cursus à l’UGAN, l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry puis à l’Ecole nationale d’administration ».

La lecture de son curriculum vitae de six pages fourni par l’UFDG n’est pas un appel au voyage.

L’économiste Cellou Dalein Diallo commence sa carrière en 1976 et va, pendant dix ans occuper différents postes au ministère du Commerce.

Puis en 1986, et pendant dix ans encore, c’est la Banque centrale de Guinée à différents postes de direction où, selon sa biographie officielle, il contribuera notamment à la restructuration du système bancaire guinéen.

« Mon travail consistait à comptabiliser quotidiennement toutes les opérations effectuées dans les différents départements de la Banque, de dresser a la fin de chaque mois la balance et la situation comptable de la banque centrale, d’élaborer le budget annuel de la Banque et de veiller à son exécution », détaille-t-il dans son CV. On est très loin du romanesque.

Entre temps, en 1984, le père de l’indépendance est mort et le pouvoir a changé. Mais Cellou Dalein Diallo a continué sa carrière au service de l’Etat. Qu’en reste-t-il aujourd’hui dans sa façon de faire de la politique ? « Il a gardé la rigueur, la méticulosité. Il n’avance pas sans que tout soit clair. Il ne s’engage que sur des choses qu’il peut assumer et vérifier », constate Hadiatou Djinkan Diallo, reconnaissant que « ce n’est pas toujours facile pour son entourage, car on est souvent très pressé ! »

Mais comment ce techno en vient-il à la politique ? « Je pense que la politique l’a rattrapé », suggère Hadiatou Djinkan Diallo. « C’est un destin qui s’est ouvert à lui après avoir été au service de Ahmed Sékou Touré et Lansana Conté ». Ce tournant dans la parcours de Cellou Dalein Diallo a lieu en 1996.

Un autre technicien, Sidya Touré, vient d’être nommé Premier ministre. Huit ans après son arrivée au pouvoir, Lansana Conté fait appel à des hauts-fonctionnaires pour tenter de remettre en marche un pays rongé par la corruption et dont les infrastructures sont à terre. Cellou Dalein Diallo est choisi « en raison de ses compétences et de son intégrité reconnues », selon sa biographie officielle.

Démarre alors la carrière ministérielle la plus longue qu’ait connue la Guinée. Pendant dix ans, il sera ministre. En charge des transports tout d’abord. L’UFDG adore rappeler que, lors de ses déplacements en province, le président Alpha Condé roule toujours « sur des routes construites par Cellou Dalein Diallo ».

Son portefeuille s’enrichira au fil des ans avec des compétences telles que télécommunications, travaux publics ou environnement. Puis fin 2004, Lansana Conté le désigne Premier ministre. Nous l’écrivions plus haut, si Cellou Dalein Diallo s’est approché de la magistrature suprême en 2010 en arrivant nettement en tête du 1er tour de la présidentielle, 6 ans auparavant, il a quasiment assuré une présidence par intérim qui ne disait pas son nom.

Pendant les dix-huit mois de sa primature, c’est lui qui va représenter la Guinée sur la scène internationale, palliant l’absence d’un Lansana Conté malade. « Pour rassurer les bailleurs de fonds », disait-on à l’époque.

Mercredi 5 avril 2006, 14h18 

Son mandat de Premier ministre se referme sur un imbroglio en avril 2006. Le mardi 4 avril, remaniement ministériel. Cellou Dalein Diallo est reconduit avec des pouvoirs élargis puisqu’il hérite des portefeuilles de l’Economie, des Finances et du Plan. Le soir même, dans le journal de la RTG, la lecture du communiqué de la présidence annonçant les nominations est brutalement interrompue sans explication. Il faudra attendre le lendemain, mercredi 5 avril, dans l’après-midi, pour qu’un nouveau communiqué soit lu : « Le Premier ministre guinéen Cellou Dalein Diallo a été démis de ses fonctions pour faute lourde ». Quelle faute ? Il s’agirait surtout de tensions entre l’entourage du chef du gouvernement et la garde rapprochée du président moribond.
Cellou Dalein Diallo quitte le palais de la Colombe, mais, selon son entourage, il n’en voudra pas à Lansana Conté et restera proche du président et de sa famille, rendant encore parfois visite à Henriette Conté, la veuve de l’ancien président, décédée en mai 2020.

L’opposant 

Son limogeage va aussi marquer son entrée dans l’arène de la politique politicienne. Un an plus tard, fin 2007, il se voit confier les clés de l’UFDG, l’Union des forces démocratiques de Guinée, par « le doyen », Mamadou Ba. En juin 2009, lorsque ce dernier s’éteint, l’hebdomadaire Jeune Afrique raconte que, « une semaine avant sa mort, Mamadou Ba a demandé à Diallo, qui s’était rendu à son chevet, de veiller à l’unité de l’UFDG et de défendre les valeurs démocratiques ».

L’UFDG, l’Union des forces démocratiques de Guinée dont Cellou Dalein Diallo est président depuis 2007, a été fondé par l’opposant Amadou Bah Oury en 1991 à la faveur de l’ouverture au multipartisme. Amadou Bah Oury sera exclu de l’UFDG en 2016 pour « insubordination » et accusera les partisans de Cellou Dalein Diallo d’avoir voulu le faire « éliminer physiquement ». Au moment de son exclusion, des heurts avaient éclaté au siège de l’UFDG. Un journaliste avait été tué, mais Bah Oury avait ensuite estimé que « la balle lui était destinée ». « C’est le temps des règlements de comptes, la guerre est totale », déclarait-il alors au journal Le Monde, montrant très clairement du doigt Cellou Dalein Diallo.

Moins de quatre mois plus tard, la Guinée connaîtra l’un de ces funestes épisodes de violences qui ont émaillé son histoire : le massacre au stade du 28 septembre.
Ce jour-là, date anniversaire du non au référendum du général De Gaulle qui entraînera l’indépendance du pays cinq jours plus tard, le 2 octobre 1958, l’opposition guinéenne est rassemblée au stade du 28 septembre à Conakry. Davantage qu’une célébration, il s’agit alors de manifester contre la décision du chef de la junte alors au pouvoir, Moussa Dadis Camara, de se présenter à la présidentielle organisée l’année suivante.

Le rassemblement tourne au carnage. Des Bérets rouges tirent dans la foule. Plus de 150 manifestants sont tués. Des dizaines de viols seront commis, « les témoins affirment avoir vu au moins quatre femmes tuées par des membres de la Garde présidentielle après avoir été violées, y compris des femmes qui ont reçu des balles ou des coups de baïonnette dans le vagin. Certaines victimes ont été pénétrées avec des canons de fusils, des chaussures et des bâtons », rapportera Human Rights Watch un mois plus tard.

Ce jour-là, Cellou Dalein Diallo est dans le stade. Il sera blessé.
« On m’a roué de coups et j’ai perdu connaissance. Ils ont marché sur mon corps. J’ai eu quatre côtes cassées. J’étais blessé à la tête, au visage. J’ai saigné de la bouche, du nez. Ils m’ont cru mort et abandonné là », racontera-t-il quelques années plus tard au site d’information Guineenews. Evacué du stade dans le coma, il sera rapidement transféré vers la France pour y être soigné.

Quels réseaux ?

C’est à bord de l’avion présidentiel sénégalais que Cellou Dalein Diallo peut quitter la Guinée. Le président Abdoulaye Wade a remué ciel et terre pour organiser son départ. Wade ? « Il était un père, un ami », raconte Diallo dans le même entretien à Guineenews le 28 septembre 2019.

Quid des amis de Cellou Dalein Diallo aujourd’hui ? Dans un portrait qu’il lui consacre, le directeur de Jeune Afrique François Soudan avance que « s’il n’a pas retrouvé à Paris des soutiens équivalents à ceux dont il bénéficiait à l’époque où Claude Guéant l’introduisait chez Nicolas Sarkozy, Cellou Dalein Diallo entretient dans la région de bons rapports avec Macky Sall (…) et Alassane Ouattara. Dernier soutien en date : Umaro Sissoco Embaló, le président de la Guinée-Bissau », qui a eu maille à partir avec Alpha Condé, ce qui peut expliquer en partie cette amitié nouvelle et ostensible.

Ses réseaux, Cellou Dalein Diallo les enrichit au sein de l’Internationale libérale. Il est l’un des vice-présidents de cette organisation née en 1947. L’UFDG de Cellou Dalein Diallo y côtoie le RDR ivoirien d’Alassane Ouattara ou encore le PDS sénégalais d’Abdoulaye Wade.

Cette année, Cellou Dalein Diallo affrontera pour la troisième fois le président sortant Alpha Condé. Cette candidature lui a valu d’être exclu du FNDC, le Front national pour la défense de la Constitution, un vaste collectif né du refus de l’opposition et de la société civile de voir « le professeur » modifier la loi fondamentale pour briguer un troisième mandat.

« Une grossière erreur » 

C’est un ami de Cellou Dalein Diallo et un vieux compagnon de route de l’UFDG. Dans un entretien au site Vision Guinée, le célèbre écrivain guinéen Tierno Monènembo ne mâche pourtant pas ses mots sur la candidature de l’opposant à la présidentielle. « Pour moi, c’est une grossière erreur au double plan de la cohérence et de la stratégie. S’embarquer dans cette galère, c’est reconnaître d’emblée la validité de cette constitution que personne ne reconnaît à part les politiciens interlopes qui en sont les auteurs », estime Tierno Monènembo, ajoutant « pour ce qui est de la stratégie, c’est de la folie que d’aller seul (ou presque) au casse-pipe ». Si l’écrivain annonce qu’il ne fera exceptionnellement pas campagne pour l’UFDG, il redit néanmoins toute l’amitié qui le lie à Cellou Dalein Diallo.

Dix autres candidats se sont lancés dans la course mais il fait peu de doute que le scrutin tournera à nouveau au duel entre Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé.
Quel regard le chef de l’opposition porte-t-il sur le président sortant ? « Il ne le méprise pas ! nous assure Hadiatou Djinkan Diallo. Il n’aime pas sa politique, il n’aime pas sa manière de gérer le pays, d’ethniciser le débat politique et de diviser la société mais il respecte l’homme et son parcours ».

Un respect qui n’a pas empêché cette sortie fracassante de Cellou Dalein Diallo le 8 octobre dernier sur les antennes de RFI et France 24 : « Avec son âge, il n’a plus la capacité physique et intellectuelle d’exercer cette fonction exigeante de président de la République (…) À 83 ans, il n’en peut plus. Aujourd’hui, il a choisi de faire sa campagne par visioconférence, vraiment parce qu’il n’a pas la capacité physique d’aller rencontrer les populations. Donc, je pense qu’il devrait accepter de partir dignement à la retraite ».

Cellou Dalein Diallo nous avait habitués à des déclarations plus policées. Un signe, certainement, de l’état d’esprit dans lequel il aborde ce troisième round. « Cellou Dalein Diallo est prêt à aller au bout des choses, assure Hadiatou Djinkan Diallo. Les raisons pour lesquelles il a cédé en 2010 et 2015 ne seront plus valables cette année ! Cette fois-ci, ça ne passera pas ! »

 

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