Tragédie de N’Zérékoré : un collectif des organisations des droits de l’homme parle de 237 victimes dont 180 cas de décès, 47 blessés et 11 disparus(Rapport complet)

Le vendredi 14 février 2025, le collectif des organisations de défense des droits de l’homme de N’Zérékoré a dévoilé à la maison de la presse de Conakry le rapport final sur la tragédie qui s’est produite le 1er décembre 2024 au stade 3 Avril de N’Zérékoré, pendant la finale du tournoi de football Mamadi Doumbouya. Après sept jours d’enquête, les ONG révèlent un bilan dramatique : 140 morts, 11 disparus, et plusieurs blessés. Ce rapport souligne des violations des droits humains et appelle à la justice et à la réparation pour les victimes. Lire le rapport complet !

« Collectif des Organisations de Défense des Droits de l’Homme Région de N’Zérékoré.

Rapport d’enquête sur la tragédie survenue au stade du 03 avril de N’Zérékoré, le 01 décembre 2024.

Rapport réalisé par le Collectif des Organisations de Défense des Droits de l’Homme à N’Zérékoré (CODDH-NZ)

Janvier 2025

CHAPITRE I : CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE, OBJECTIFS ET METHODOLOGIE DE L’ENQUETE

1- Contexte sociopolitique

A l’avènement du Conseil National pour le rassemblement et la Démocratie (CNRD) le 05 septembre 2021, de nombreux espoirs sont nés notamment dans le respect des droits humains. Car les dispositions de la charte de la transition adoptée consacrent et promeuvent les droits humains en ses articles 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,1 5, 18 et 19.

Aussi, en se fondant sur les instruments juridiques internationaux que la Guinée a ratifiés l’on pouvait espérer dans une large mesure que les libertés individuelles et collectives seraient respectées, l’indépendance de la justice activée, la corruption bannie et la bonne gouvernance garantie.

Cependant, après deux ans de gouvernance du (CNRD), certaines pratiques anti-démocratiques, contraires à leurs engagements à la prise du pouvoir ont refait surface, plongeant peu à peu la Guinée dans un désespoir quant au respect des droits humains.

Ces restrictions des libertés fondamentales ne servent qu’à réduire l’espace civique et à faire reculer le respect des droits de l’homme à un moment où ceux-ci ont le plus besoin d’être encouragés et défendus en Guinée

A la date du 24 novembre 2023, l’accès à internet et/ou aux réseaux sociaux avait été restreint à plusieurs reprises, des sites d’information en ligne ont été inaccessibles, des radios ont été rendues inaudibles et retirées de l’offre de certaines plateformes de diffusion ;

Le 22 mai 2024, un arrêté N° 686 du ministère de l’information et de la communication a autorisé le retrait des agréments d’installation et d’exploitation de certaines stations des radios et de télévisions privées.

Aussi, des citoyens sont injustement kidnappés, arrêtés ou emprisonnés pour s’être réunis ou donner leurs opinions. C’est le cas de Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), du journaliste Habib Marouane, du leader politique Aliou Bah…

Egalement, depuis le 13 mai 2022 les manifestations de toute nature ont été interdites par le gouvernement. Mais paradoxalement, au même moment que la junte militaire interdit les manifestations des forces vives et autres entités sociales, les mouvements de soutien au CNRD foisonnent sur toute l’étendue du territoire nationale : des slogans de soutien à travers des banderoles sont affichés dans les espaces publics, des mamayas, des journées de prières et des tournois de football pour le prolongement de la transition et le maintien au pouvoir du président de la transition Mamadi Doumbouya sont organisés et diffusés par les médias d’état.

C’est dans cette perspective qu’il a été organisé le tournoi de football doté du trophée du président de la transition Mamadi Doumbouya au stade du 03 avril à N’Zérékoré du 16 novembre au 01 décembre 2024.

Ainsi, la finale de ce tournoi de football s’est jouée au stade du 03 avril de N’Zérékoré le dimanche 1er décembre 2024, en présence de hauts responsables de l’état dont le ministre de la Jeunesse et des Sports, Keamou Bogola Haba, et celui de l’Agriculture, Félix Lamah.

Pendant cet évènement un mouvement de foule, les jets de pierre, la faible sécurisation du stade et l’usage excessif des gaz lacrymogènes par les forces de défense et de sécurité, ont conduit à une tragédie sans précédent dans la région, qui a causé la mort de centaine de personnes, des blessés graves et des dégâts matériels.

Ce présent rapport d’enquête met en lumière les circonstances dans lesquelles cette tragédie a eu lieu, les atteintes aux droits humains enregistrés au stade du 03 avril de N’Zérékoré pendant la finale de ce tournoi de football et les recommandations pour qu’il ait justice.

Cette enquête s’inscrit également dans la documentation des violations des droits humains, la recherche et l’établissement de la vérité et les mécanismes de renforcement de la promotion de la culture de paix.

Ce document pourrait aussi servir à des besoins de recherches scientifiques et à d’autres institutions des droits de l’homme d’une part et de base pour de nouvelles enquêtes plus approfondies pour l’ouverture d’un procès, de propositions concrètes pour la consolidation de l’état de droit d’autre part.

2- Les objectifs de l’enquête

Les objectifs de cette enquête sont :

– Recueillir et analyser les informations des victimes et des témoins pour une identification précise : Cela vise à établir un inventaire complet des victimes de l’incident, en récoltant des témoignages détaillés des personnes directement touchées ainsi que des témoins afin de recueillir des données complètes et vérifiées, y compris les blessures physiques et psychologiques subies, et documenter les événements de manière exhaustive.

– Créer une base de données centralisée et sécurisée des victimes et de leurs besoins spécifiques : il s’agira de concevoir une base de données numérique qui recense de manière précise chaque victime, avec des détails relatifs à leur statut. Cette base servira également de référence pour le suivi des demandes d’indemnisation ou des actions légales à entreprendre.

– Évaluer les causes, les responsabilités et les facteurs déclencheurs de l’incident pour proposer des mesures préventives : cela permettra d’analyser en profondeur les causes et circonstances de l’incident survenu au stade du 3 avril, en identifiant les éventuelles failles organisationnelles, sécuritaires ou logistiques qui ont conduit à la violence en vue de formuler des recommandations concrètes pour éviter la récurrence de tels événements.

– Fonder un collectif de victimes pour coordonner les actions juridiques, médiatiques et de réparation des préjudices : il s’agira de créer un collectif structuré des victimes, afin de faciliter la coordination de toutes les démarches juridiques, médiatiques et sociales nécessaires. Ce collectif permettra non seulement de porter plainte de manière unifiée, mais aussi de mettre en place des campagnes de sensibilisation et de plaidoyer pour la réparation des dommages, qu’ils soient physiques, psychologiques ou matériels.

– Mettre en place un programme de sensibilisation à la paix et à la réconciliation communautaire : Cela vise à promouvoir un dialogue pacifique entre toutes les parties concernées, y compris les victimes, les responsables et la communauté. Il s’agira d’organiser des rencontres de médiation, des ateliers de sensibilisation et des événements communautaires pour favoriser la guérison, l’unité et la paix sociale.

3- Méthodologie

Dans le but d’identifier, de bâtir des dossiers de violations des droits humains et éventuellement de les porter devant les tribunaux, il a été adopté la méthodologie classique de la réalisation d’une enquête sur la violation et les atteintes aux droits humains.

L’approche a consisté à recueillir des informations précises auprès des victimes, témoins, leaders religieux ayant participé à l’organisation des funérailles, les gardiens des cimetières y compris les populations alentours, les autorités locales, les structures sanitaires publiques et privées, les services de sécurité.

3-1 Une approche systématique

Toute enquête sur de graves violations des droits humains doit procéder d’une approche systématique. Les enquêtes sur les droits humains ont généralement lieu dans des contextes tendus politiquement ou socialement dangereux et sont vulnérables à l’ingérence, à l’influence et aux préjugés. Afin de minimiser le risque de compromettre l’information et de maximiser l’objectivité du travail, les approches suivantes pour chaque situation sur laquelle il y a matière d’enquêter ont été adoptées.

3-2 Collecte des informations par voie de témoignages

Autant d’informations que possible sur les événements qui se sont produits au stade du 03 avril et dans les périphéries ont été recueillies en suivant toutes les pistes disponibles (à charge et à décharge) auprès des personnes ressources, des témoins oculaires des faits, de certaines victimes, des autorités militaires et paramilitaires, des administrateurs, des élus locaux et des organes de presse. En outre, les témoignages indirects de parents, amis ou voisins qui ont assisté à des violations ou en ont eu connaissance, ont été aussi enregistrés.

3-3 Bâtir le dossier

Sur la base des preuves les plus convaincantes, crédibles et fiables, analysées en fonction des exigences légales nécessaires à l’aboutissement des poursuites et de la vérité, nous avons tenté de combler les lacunes restant dans les preuves grâce à un travail d’enquête supplémentaire. Des photos, des enregistrements sonores, des articles de presse… ont été prises pour soutenir toutes les allégations.

3-4 L’élaboration d’un questionnaire :

Dans le but de recueillir des informations fiables et équilibrées, il a été élaboré un questionnaire à l’endroit des autorités administratives et locales, les forces de défense et de sécurité, la communauté, les victimes, l’administration judiciaire.

Des questions cruciales suivantes ont été posées :

– Quel est l’historique ou le contexte de ces évènements?

– Quel type de délit ou de violation des droits humains a eu lieu ?

– Comment la violation a-t-elle eu lieu ?

– Quelles sont les causes possibles de cette violation ?

– Qui sont les victimes de la violation ?

– Qui est soupçonné d’avoir commis, aidé, incité, ou ordonné cette violation, ou d’y avoir contribué d’une quelconque manière ?

– Quelles sont les autres conséquences de cette violation ?

– Cette violation suit-elle le modèle d’autres violations dans la région ou le pays ?

– Que souhaitent les victimes ?

3-5 La mise en place d’un réseau de contacts

Un réseau important de contacts fiables a été mis en place avec tous les acteurs de cette crise : les services médicaux, les autorités locales, les forces de défense et de sécurité, l’administration judiciaire, les médias, les leaders communautaires, les leaders religieux, les jeunes et les femmes influents des localités concernées, affectés directement et indirectement.

3-6 Les sources documentaires

Le collectif des organisations de défense des droits humains dans la région de N’Zérékoré a eu des sessions d’informations notamment sur la situation sociopolitique de la région. Des rapports du Haut-commissariat des droits de l’homme, du PNUD et des travaux de recherche sur la problématique de la cohésion sociale et des droits de l’homme dans la région ont été exploités. Egalement, les rapports sur les violences post-électorales du 22 au 23 mars 2020 à N’Zérékoré, élaboré par l’Observatoire citoyen pour la justice et la Paix avec le financement de la fondation Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), les rapports conjoints MDT/ASF-Guinée sur les évènements de Zogota et de Womey, sur le conflit intercommunautaire de 2013 à N’Zérékoré, ont été aussi consultés.

Aussi, nous avons consultés les rapports produits à la suite de drames survenus dans des stades de football comme à Yaoundé (Cameroun) en janvier 2022 avant un match de la Coupe d’Afrique des Nations, 8 morts et 38 blessés, à Dakar (Sénégal) en juillet 2017 (à l’issue de la finale de la Coupe de la Ligue) : 8 morts et des centaines de blessés, Bastia en mai 1992 (demi-finale de la Coupe de France contre Marseille) : 19 morts et plus de 2.300 blessés après l’effondrement d’une tribune dans le stade Furiani, Abidjan en mars 2009 (Côte d’Ivoire-Malawi) : 20 morts et plus de 130 blessés, Johannesburg en avril 2001 (entre les grandes équipes d’Afrique du Sud Orlando Pirates et Kaiser Chiefs) : 43 morts. En Indonésie, le 01 octobre 2022, 125 morts lors d’un mouvement de foule dans un stade.

CHAPITRE II- GENESE, CAUSES ET BILAN DE LA TRAGEDIE

1- Genèse et déroulement des évènements du 01 décembre au stade du 03 avril de N’Zérékoré.

A l’instar de la ville de N’Zérékoré, plusieurs autres tournois de football dotés du trophée du président de la transition, Mamadi Doumbouya, ont été organisés à travers le pays. Celui de la préfecture de N’Zérékoré fut organisé par une association dénommée « Alliance des jeunes leaders de la forêt » dirigé par Mr Sabin KPOGHOMOU. Ce tournoi a été lancé par une forte délégation gouvernementale, conduit par le Général Amara Camara, Ministre Secrétaire général de la Présidence, le 16 novembre 2024 au stade du 03 avril.

Parmi les ministres présents on peut citer : Félix Lamah (ministre de l’Agriculture et de l’Elevage) ; Rose Pola Pricemou (ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique) ; Kéamou Bogola Haba (ministre de la Jeunesse et des Sports), Jean Paul Cedy (ministre de l’Enseignement préuniversitaire et de l’Alphabétisation), Jean François Faya Bourouno, ministre de la fonction publique. Le général Amara Camara et sa suite ont été chaleureusement accueillis par la population de N’zérékoré, de l’aéroport jusqu’au stade 3 Avril au centre-ville. Sur des affiches, l’on pouvait lire clairement des messages comme “Doumbouya pour la continuité’’.

Dans son discours de circonstance le général Amara Camara, ministre secrétaire général de la présidence de la République a déclaré1 :

« De l’aéroport à ici, nous avons entendu, mes collègues et moi, vos messages et soutiens au président de la République, chef de l’État. Nous avons aussi entendu la volonté de la plus grande frange de la population de la région administrative de N’Zérékoré que le président Mamadi Doumbouya continue la refondation de notre pays. Nous en prenons acte et nous transmettrons le message à qui de droit ».

Ce tournoi de football avait opposé les équipes de football venus des régions administratives de Boké, Kindia, Mamou, Faranah, Labé, Kankan et les équipes préfectorales de la région de N’Zérékoré.

Après quatorze jours de compétition, le 1er décembre 2024, se jouait la finale de ce tournoi de football et qui opposait l’équipe de la préfecture de N’Zérékoré et celle de Labé en présence de deux ministres : Félix Lamah (ministre de l’Agriculture et de l’Elevage), parrain de l’évènement et Kéamou Bogola Haba (ministre de la Jeunesse et des Sports), le Gouverneur de la région de N’Zérékoré, Lamine KEITA, le préfet de N’Zérékoré Colonel Alseny CAMARA., le président de la délégation spéciale de la commune urbaine de N’Zérékoré, Fassou GOUMOU, des directeurs nationaux et plusieurs autres directeurs préfectoraux de la région de N’Zérékoré.

Le stade était assez comble au-delà de ses capacités d’accueil. Le matin entre 8h et 14h des véhicules avaient été déployés par les organisateurs dans plusieurs villages autour de la commune urbaine, dans certaines préfectures et sous-préfectures de N’Zérékoré. Egalement des véhicules ont été rendus disponibles dans certains quartiers de la commune urbaine de N’Zérékoré avec de la sonorisation à bord pour mobiliser et transporter les citoyens afin de se rendre au stade à l’occasion de cette finale. D’autres sources affirment que certaines autorités administratives venues de Conakry avaient aussi envoyées des véhicules dans leur ressort de prédilection pour transporter certains citoyens de ces localités.

Certaines sources attestent que les organisateurs disaient que l’artiste Grand P devrait être au stade et même le président de la Transition.

« Il faut que le monde entier voit que le président de la république est plébiscité dans la région de la guinée forestière. Donc il faut du monde comme il n’en a jamais été » apprend-on de la bouche de certaines autorités et organisateurs du tournoi selon des informations qui nous ont été rapportées.

Le stade était donc bondé de monde.

Le coup d’envoi fut donné aux environs de 16h00 TU.

Selon les informations auprès de certains supporteurs venus au stade, tout se passait bien jusqu’à la 83e minute, quand l’arbitre a sifflé un penalty en faveur de l’équipe de N’Zérékoré. Mais bien avant, le même arbitre avait donné un carton rouge à un joueur de Labé. Il a fallu l’intervention du Ministre de l’agriculture et de l’élevage, Félix Lamah pour annuler le dit carton, car les réactions de certains supporteurs avaient commencé à se faire entendre. Cela n’avait pas plu aux joueurs et aux supporters de Labé qui estimait que cet arbitrage était douteux et de trop. Ce qui avait débordé la vase.

C’est de là que les jets de pierres ont commencé et le match fut interrompu, les cris sans cesse des supporteurs, dans un vacarme total, avait pris le dessus.

Selon plusieurs informations concordantes, les pierres jetées venaient de l’extérieur du stade. Ce qui laisse présager que le stade n’était pas bien sécurisé de l’extérieur par les forces de défense et de sécurité. Les jets de pierre ont créé la panique et le sauve qui peut. Chaque spectateur cherchant à sauver sa tête.

Les bousculades, l’escalade des murs ont commencées et la course des spectateurs vers l’une des grandes portes d’entrée ouverte du stade où étaient stationnés les pickups de la police.

Dans ce tumulte, les forces de sécurité, dans le but ultime de faciliter la sortie du stade des autorités administratives présentes, notamment le ministre des Sports Keamou Bogola Haba, de l’Agriculture Felix Lamah, le gouverneur de la région, le préfet et autres, elles ont fait usage de gaz lacrymogènes. Les jets de gaz lacrymogènes dans le stade par les forces de défense et de sécurité ont créé plus de panique, l’étouffement et l’immobilisation de certains supporteurs. Et s’en est suivie une bataille rangée entre supporters et les forces de l’ordre.

Un spectateur présent au stade témoigne :

« Les gens tombaient sous l’effet des gaz lacrymogènes, les gens fuyaient dans tous les sens, et dans la bousculade, des motos et voitures ont percuté des personnes» témoigne un journaliste présent au stade.

Les uns et les autres cherchant à sortir du stade, par une des grandes portes d’entrée ouverte, de nombreuses personnes, parmi lesquels plusieurs mineurs, finissent étouffées ou piétinées au sol par d’autres spectateurs.

Selon plusieurs informations, des véhicules administratifs et autres usagers auraient percuté de nombreux spectateurs cherchant à sortir du stade.

2- Recueil des témoignages

2-1 A l’hôpital régional de N’Zérékoré

Dans la nuit du 1er décembre 2024, l’hôpital régional de N’Zérékoré était rempli de personnes venues chercher les nouvelles de leurs enfants, parents et proches probablement présents au stade.

Car c’est là que les véhicules de la croix rouge et des forces de défense et de sécurité transportaient les victimes.

Une femme en pleure rencontrée disait :

« Je suis venue voir si mon enfant qui a quitté la maison depuis le matin n’est pas parmi les victimes de ce drame »

Selon certains agents de santé rencontrés à l’hôpital, il nous racontait :

« Il y a trop de victimes et ils ne peuvent pas tous contenir dans la morgue qui a une capacité limitée. Nous sommes obligés de mettre certains corps dans les couloirs ».

Cette nuit, c’était la consternation et la stupéfaction dans cet hôpital.

Donc, des corps sans vie de plusieurs victimes étaient dans les couloirs de l’hôpital vers la morgue, c’est là que certaines personnes ne trouvant pas les siens dans la morgue venait voir si son enfant, son frère ou un proche n’était pas parmi les victimes.

Vu qu’il n’y avait pas de place à l’hôpital, certains corps avaient été enlevés par des hommes en uniforme et envoyé au camp militaire de N’Zérékoré selon des agents de santé et des parents de victimes présents à l’hôpital.

« Il ya trop de morts, notre morgue ne peut pas tout contenir. D’autres corps ont été envoyés vers le camp militaire. Vous pouvez aussi voir de ce côté. »

2-2 La rencontre de la commission d’organisation du tournoi de football.

Une association dénommée ‘’Association des Jeunes Leaders de la Foret’’ avait la charge d’organiser ce tournoi. Les enquêteurs ont pu joindre par téléphone le président Sabin KONE. Il n’a pas accepté de répondre aux questions des enquêteurs ni donner l’ordre à un des membres de l’association de recevoir les enquêteurs. Il a répondu en ces termes :

« J’ai été instruit de ne parler à aucune structure à propos des évènements survenus au stade du 03 avril de N’Zérékoré. Je suis passé devant la commission administrative d’enquête mise en place par le gouvernement. Pour moi c’est suffisant. Vous le savez, depuis cet évènement, vous ne m’entendez nulle part… Cependant j’assume mes responsabilités s’il était prouvé que j’ai commis des erreurs dans l’organisation de ce tournoi. Je suis entrepreneur, j’ai pris mon argent pour organiser ce tournoi…».

2-3 La rencontre des autorités administratives de N’Zérékoré.

L’implication des autorités administratives dans l’organisation de cet évènement n’est plus un secret de polichinelle. Ainsi, dans le but de se rendre à l’évidence de ce qu’elles ont fait ou non et de ce qu’on dit d’elles à la suite de la tragédie survenue au stade du 03 avril le 01 décembre 2024, les enquêteurs ont décidé de rencontrer le gouverneur de la région administrative, le préfet, le président de la délégation spéciale de la commune urbaine, le commandant de la gendarmerie et de la police, le procureur de la république près le tribunal de première instance de N’Zérékoré.

Au niveau du gouvernorat de N’Zérékoré, les enquêteurs ont été reçus par le Directeur de cabinet, Tidiane SOUMAH, qui les a répondus en ces termes :

« Nous n’avons joué aucun rôle dans l’organisation de ce tournoi. C’était un tournoi national, les organisateurs sont venus de Conakry avec certains ministres, nous avons donc reçu l’ordre de les accompagner. C’est tout ce que nous avons fait. Vous devez donc commencer par Conakry, ne renversez pas la pyramide ».

Ensuite, le Directeur de cabinet nous a conduits chez le gouverneur, où il nous a laissé au salon d’attente pour nous annoncer au gouverneur. Il est revenu nous dire :

« Le gouverneur nous demande de faire viser notre ordre de mission par le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation ».

Au niveau de la préfecture, l’occasion n’a pas été donné aux enquêteurs de rencontrer le préfet.

Au niveau de la mairie, les enquêteurs n’ont pas pu rencontrer le président de la délégation spéciale, Fassou Goumou, en déplacement. Les enquêteurs ont été reçus par le secrétaire général de la commune. Ce dernier, a demandé aux enquêteurs d’aller faire viser leur ordre de mission par le gouverneur avant qu’il ne réponde aux questions des enquêteurs.

Au tribunal de première instance de N’Zérékoré, les enquêteurs ont été reçu par le procureur de la république, Abdoulaye Komah. Il a informé les enquêteurs de l’ouverture des enquêtes judiciaires, mais qu’il s’abstient à cette étape de l’enquête de communiquer sur son évolution. Car l’instruction est secrète dit-il.

Cependant, il a dit attendre les conclusions de la commission administrative d’enquête dont il est membre en ces termes : « Le ministre de la justice a mis en place une commission administrative d’enquête à la suite des évènements douloureux survenus au stade du 03 avril le 01 décembre 2024. Cette commission a entendu la plupart des acteurs impliqués dans l’organisation de ce tournoi. L’enquête est donc encours ».

Au niveau de la gendarmerie, le commandant adjoint de la brigade de recherche de N’Zérékoré, le lieutenant SIDIBE a reçu les enquêteurs en lieu et place du commandant de la gendarmerie absent. Il a répondu les enquêteurs en ces termes :

« Les enquêtes judiciaires ont été effectivement ouvertes, mais malheureusement selon les dispositions du code de procédure pénal c’est le procureur seul qui doit communiquer sur l’évolution de l’enquête, référez-vous au procureur de la république».

Au niveau du commandement de la police, les enquêteurs ont été reçus par le commissaire central de la police de N’Zérékoré le colonel Souleymane SIDIBE qui a répondu aux enquêteurs comme suit :

« Nous avons été saisis officiellement par le parquet à travers un réquisitoire pour l’ouverture des enquêtes judiciaires sur les évènements du stade. Nous avons donc commencé à écouter les différentes parties. Je vous demande de vous référer à la brigade de recherche où nous avons ouvert le siège des enquêtes. Nous avons même reçu la réquisition du parquet pour la fermeture du stade ».

3- Les causes de la tragédie survenue au stade du 03 avril de N’Zérékoré

Parlant des causes de cette tragédie, le collectif des organisations de défense dans la région de N’Zérékoré a déclaré en ces termes :

« Le mécontentement des supporteurs par les jets de pierre suite à un mauvais arbitrage, le souci des forces de défense et de sécurité de protéger les autorités administratives et non les citoyens en débandade par l’usage excessif des gaz lacrymogène dans un endroit clos, les voitures des autorités administratives et autres usagers qui ont percuté des citoyens en quête de sécurité, les bousculades, l’escalade des murs par des supporteurs qui cherchaient à sauver leur vie, et malheureusement les ont perdus, la mauvaise sécurisation du stade par les forces de défense et de sécurité et l’obstruction de la porte du stade par les véhicules des forces de défense et de sécurité, le nombre élevé de supporteurs au-delà de la capacité d’accueil du stade ».

Cette information donnée par le collectif des organisations de défense dans la région de N’Zérékoré a été soutenue par les victimes et parents de victimes au cours des enquêtes sur le terrain.

3-1 Le non-professionnalisme dans l’arbitrage du match.

Selon plusieurs témoins, ils accusent l’arbitrage qui serait la cause principale de cette tragédie. Un supporteur qui a assisté à tous les matchs du tournoi témoigne :

« Cette faute d’arbitrage a commencé une semaine avant la finale. Le match entre Kankan et N’Zérékoré a failli tourner au vinaigre car l’arbitre du match avait aussi sifflé un penalty contre l’équipe de Kankan. Les joueurs n’avaient pas aussi accepté. Ils ont quitté le stade. Il a fallu l’intervention de certaines personnalités pour que les joueurs de Kankan reviennent sur la pelouse pour continuer le match. Et ils ont été malheureusement battus. C’est la même chose qui est arrivée le jour de la finale ».

Un autre ajoute :

« Moi j’accuse les arbitres et sur toute la ligne. On dirait qu’ils voulaient que N’Zérékoré gagne ce tournoi, coute que coute »

3-2 Les jets de pierre venant de l’extérieur

Les jets de pierres ont commencé quand le pénalty avait été sifflé contre Labé et que les joueurs avaient quitté la pelouse racontent plusieurs spectateurs présents au stade :

« Il y avait tellement de monde. Je ne peux pas dire qui jetaient les pierres. Mais moi je voyais les cailloux venir derrière nous pour tomber sur le terrain. Certainement, c’étaient des gens qui n’ont pas pu entrer au stade et qui étaient derrière ».

Un enfant de douze ans, rescapé, raconte :

« J’ai été cogné par un caillou qui avait été jeté par des gens qui étaient en dehors du stade. Et j’ai commencé à courir vers la porte du stade »

3-3 Les jets de gaz lacrymogènes par les forces de sécurité

Plusieurs sources attestent que lorsque les jets de pierres ont commencé, les mouvements de foule ont aussi débuté. Tout le monde cherchait à descende des gradins pour se protéger. Et comme les autorités étaient assises au milieu du stade, les policiers sont venus les entourer en les sécurisant. C’est en ce moment qu’ils ont commencé à faire usage des gaz lacrymogènes.

Un citoyen venu au stade raconte :

« C’était ma première fois d’inhaler du gaz jeté par les policiers. Je suis tombé. Mon ami est venu me prendre pour m’envoyer un peu plus loin en me couvrant de son habit ».

Un autre blessé qui a accepté se prêter aux questions des enquêteurs affirment :

« Si les policiers n’avaient pas jeté les gaz lacrymogènes, je n’allais pas tomber et les gens n’allaient pas marcher sur moi. Mais heureusement, je me suis débattu et avec l’aide d’un ami on a pu sortir du terrain. Mais j’avais ma main fracturée et mon côté blessé le fait que mon ami me tirait parfois par terre. »

Un parent d’une victime, lui accuse les policiers qui ont jeté les gaz au stade :

« Moi j’accuse les policiers. S’il n’avait pas jeté les gaz il n’y aurait pas eu assez de morts et de blessés. C’est eux … eux qui ont causé ces morts… »

3-4 Les bousculades et les piétinements, l’escalade des murs

Les jets de pierres, l’usage de gaz lacrymogène ont provoqué la débandade des spectateurs. C’était le sauve qui peut. Tous les spectateurs cherchaient la porte d’entrée du stade.

Un fervent supporteur de l’équipe de Nzérékoré témoigne :

« Malgré les cris et les mouvements de foule, moi j’ai gardé le sang-froid. Je suis resté dans un coin du terrain. Mais j’ai observé de loin que les enfants n’ayant par les forces nécessaires, tombaient et étaient piétinés par des grandes personnes qui se cherchaient. Les gens tombaient et on marchait dessus. L’odeur des gaz aussi faisait tomber certains. Je voyais des gens marcher sur la tête des autres dans une foule innombrable et compacte ».

Un autre supporteur aussi raconte.

« On courait tous vers la grande porte. Mais comme on a vu la porte du stade bondée de monde et de peur des policiers, moi j’ai pris la décision d’escalader le mur presque haut de dix mètres. Il y a certains qui se sont portés volontaires pour faire monter les gens. Mais comment descendre par derrière. Ce qui n’avait pas les forces nécessaires, tombaient soit se cassait le pied ou le bras, soit tombait sur le cou et trouvait la mort sur place ».

3-5 La faible sécurisation du stade par les organisateurs et les forces de sécurité

Selon plusieurs informations il n’y avait pas suffisamment des agents des forces de sécurité pour la sécurisation de l’évènement de l’intérieur comme de l’extérieur du stade. Et comme les enquêteurs n’ont pas pu avoir la version des faits de leur hiérarchie, on ne peut connaitre le nombre d’agents déployés dans le stade et autour du stade. Mais visiblement, selon des spectateurs, il n’y avait presque pas d’agents de sécurité aux alentours du stade. Quelques-uns étaient devant le stade, sur le goudron en face de la porte d’entrée et ceux qui étaient à l’intérieur étaient autour de la loge des officiels, auprès des autorités administratives.

Aussi, comme l’accès à l’intérieur du stade n’était pas payante car les organisateurs voulaient du monde, aucun mécanisme de contrôle n’avait pas été mis en place pour le contrôle de chaque spectateur. (On ne sait donc qui était au stade et il était rentré avec quoi).

3-6 Des véhicules ont percuté des spectateurs

Des sources attestent que le nombre de véhicules garés à l’intérieur du stade pouvaient avoisiner une trentaine y compris ceux des autorités et des particuliers. Le nombre des motos étaient difficiles à dénombrer.

Ainsi, les propriétaires de ces véhicules ne pouvant sortir leurs engins que par la grande porte, ont percuté certains de supporteurs sur leurs chemins

Une vendeuse d’orange qui était en dehors du stade en face de la grande porte de sortie raconte :

« J’ai vu des véhicules cogner des gens. Ils sortaient en toute vitesse. Même les véhicules des autorités… »

Cette version des faits est confirmée par les parents de certains blessés graves qui affirment que leurs enfants ont été percutés par des véhicules. C’est le cas par exemple de l’élève Etienne KOLIE qui a été cogné par un pick-up des forces de sécurité et évacué à l’hôpital sino-guinéen par le gouvernement

3-7 La non-assistance à des spectateurs en quête de secours

Selon les informations recueillies par les enquêteurs, plusieurs supporteurs venus au stade pouvaient être sauvés si un mécanisme de secours avait été mis en place à la suite des évènements.

Un enseignant venu au stade raconte :

« S’il y avait des secouristes, ils sauveraient ceux qui étaient asphyxiés, transporteraient les personnes qui étaient tombés du haut des murs à l’hôpital et à temps, … »

Evidemment, des corps sans vie avaient été découverts derrière le stade le lendemain des évènements. S’ils étaient secourus à temps, ils pouvaient retrouver la vie.

4- Le bilan de la tragédie

4-1 Du bilan des personnes qui ont trouvé la mort au stade

Le 02 Décembre 2024, le gouvernement de la république de Guinée a fait un communiqué annonçant un bilan de 56 morts provisoirement et de nombreux blessés graves.

Le 03 décembre 2024, le collectif des organisations de défense des droits de l’homme dans la région de N’Zérékoré, dans une déclaration, a estimé le nombre de morts à 135 personnes, environ 50 personnes disparues et des dégâts matériels. Ce bilan a été annoncé après avoir déployé des enquêteurs à l’hôpital régional, dans les centres de santé, vers les chefs de quartier, les religieux, les leaders des communautés ethniques, auprès des gestionnaires de la plupart des cimetières de la ville de N’Zérékoré et des parents de victimes le lendemain du la tragédie.

A la suite de cette déclaration, cinq jours après, le collectif des organisations de défense des droits de l’homme dans la région de N’Zérékoré, a déployé des enquêteurs dans les 22 quartiers de la commune urbaine de N’Zérékoré et dans certains districts autour de la commune urbaine pour avoir les listes de victimes qui ont été identifiées par les présidents des conseils de quartiers et de districts, les leaders communautaires et des familles de victimes. Il a été dénombré 237 victimes dont 180 cas de décès, 47 blessés et 11 personnes disparues.

A partir de ces listes, pour se rassurer de l’existence de ces victimes, dix (10) enquêteurs munis de fiche d’identification individuelle des victimes ont été déployés dans les 22 quartiers de la commune urbaine de N’Zérékoré et dans quinze (15) districts autour de la commune urbaine. Les enquêteurs ont travaillé pendant sept jours et ont rencontré les victimes, famille par famille.

A l’issue de cette autre enquête, il a été dénombré 155 victimes dont 140 personnes qui ont trouvé la mort à la suite des évènements survenus au stade du 03 avril le 01 décembre 2024.

Cette diminution du nombre des victimes à la suite de l’enquête s’explique par le fait que certaines victimes n’ont pas voulu recevoir les enquêteurs ou étaient en déplacement pour leurs soins ou pour faire le deuil.

4-2 De la gestion des cas de blessés graves et légers.

Plusieurs personnes ont été blessées au cours de cet évènement. Il a été difficile pour les enquêteurs de les dénombrer.

La nuit du drame et les jours suivants, la plupart des blessés, notamment les moins graves, n’ont pas transité par l’hôpital régional, ils ont préféré s’offrir des soins personnels soit dans des cliniques privées ou soit avec l’aide des guérisseurs traditionnels. Certains blessés graves ont été alités à l’hôpital régional et le gouvernement a annoncé leurs prises en charge et de facon gratuite.

Bien que le gouvernement avait annoncé la gratuité de la prise en charge des blessés, plusieurs parents de victimes et victimes affirment de n’avoir pas eu de soins appropriés. Un parent de victime affirme :

« J’étais obligé de prendre mon enfant de l’hôpital pour l’amener dans une clinique privée.»

Il en est de même pour certains blessés graves que le gouvernement avait évacué à Conakry. Un parent d’un de ces blessés disait :

« Mon enfant a été percuté par un véhicule de la sécurité devant le stade. Il a été touché à la hanche. Il ne peut plus marcher. A Conakry, à l’hôpital sino-guinéen, mon enfant ne reçoit pas de soins appropriés. Chaque jour on ne lui fait que de la perfusion et pourtant il mérite une évacuation à l’étranger. S’ils ne peuvent pas le soigner, qu’ils me permettent de reprendre mon enfant. A N’Zérékoré, je pourrai trouver une solution, certes auprès des guérisseurs traditionnels, car je ne sais plus que faire ».

Une autre dame, mère d’un blessé, affirme également :

« Depuis que nous sommes venus à Conakry, nous sommes laissés pour compte. Pas de suivi de nos enfants par les médecins. Nous sommes abandonnés à nous-mêmes. »

4-3 Des cas de personnes disparues

Le lendemain de la tragédie, des parents continuaient à chercher leurs proches à travers des communiqués radios, dans les centres de santé publics et privés, aux alentours du stade du 03 avril, par téléphone auprès des tiers…. Environ cinquante familles ont déclaré ne pas encore vu leurs enfants, frères ou proches. Avec le temps, certaines ont retrouvé leurs proches soit dans une famille, soit au camp militaire de N’Zérékoré, soit alité dans une clinique ou dans un centre de santé, soit le corps sans vie dans un grand trou autour du stade ou à la morgue de l’hôpital régional, ou dans les locaux de certaines maisons de radios qui passaient les communiqués de recherche.

Cependant d’autres familles jusqu’à nos jours n’ont aucune nouvelle de leurs proches qui étaient pourtant allés au stade. A la suite des enquêtes, il a été dénombré onze (11) personnes déclarées disparues, à nos jours.

4-4 Des dégâts matériels.

Plusieurs personnes rencontrées déclarent avoir perdues leurs engins roulants (vélos, motos, voitures) avec lesquelles elles étaient venues au stade. Ces engins roulant ont été soient volés, soient endommagés ou incendiés…

Un haut commis de l’Etat a témoigné à cet effet :

« La pare-brise de ma voiture a été endommagée. Heureusement que moi et mon chauffeur nous en sommes sortis indemnes ».Aussi un pick-up des forces de sécurité a été incendié devant le stade du 03 avril.

Et un commissariat de police a été également incendié par des spectateurs, la nuit de la tragédie.

5- Des réalités observées sur le terrain avec certaines familles de victimes.

Au cours de l’enquête, plusieurs constats ont été faits. Les enquêteurs ont rencontré des familles où la mère était traumatisée. C’est le cas d’une dame qui a perdu son deuxième et dernier enfant après que le premier ait perdu la vie dans les eaux de la méditerranée.

Un autre père de famille, qui n’avait que ce seul fils qui l’aidait dans tous ses travaux champêtres ne pouvait retenir ces larmes.

Dans certaines familles qui disaient n’avoir pas encore vus leurs proches, la désolation est totale. Une maman en témoigne en larmes:

« Si au moins on a vu son corps, on pouvait être soulagé. Et jusqu’à présent, personne ne nous dit rien, on ne voit rien, …. je ne sais même pas si les autorités sont même informées si certaines familles n’ont pas encore vu leurs enfants… vraiment aidez-nous nous voulons voir notre fille».

Il faut un accompagnement psychosocial envers ces familles traumatisées.

Les enquêteurs ont aussi constatées le refus de certaines victimes et familles de victimes de recevoir les enquêteurs pour se prêter à leurs questions.

Selon des informations concordantes, il y aurait une sensibilisation faites par certaines autorités morales et religieuses à l’endroit des victimes et familles de victimes afin de ne pas se faire enregistrer ni même communiquer sur ce qui s’est passée.

« Il faut s’en remettre à Dieu » disent-ils.

Aussi, d’autres victimes et parents de victimes proche du régime en place ont été instruits de ne pas communiquer, et même ne pas également recevoir des activistes des droits de l’homme. Un parent d’une victime, qui après avoir se faire enregistrer appelle le lendemain l’agent enquêteur pour lui dire de revenir dans sa famille, qu’il avait quelque chose à lui dire. A la présence de l’agent, l’homme lui dit :

« J’ai informé mon fils qui est à Conakry, il m’a dit de ne rien vous dire. Donc, je te demande de me remettre la fiche d’enquête sur laquelle j’avais été enregistrée. Il m’a demandé de la déchirer. Donc remettez-moi la fiche je vais déchirer.

La fiche a été remise au monsieur et il l’a déchiré.

Cette réticence a donc fait que les enquêteurs n’ont pas pu rencontrer toutes les victimes et parents de victimes.

Ainsi, il avait été enregistré, à travers les listes transmises aux enquêteurs, 237 victimes dont 180 cas de décès, 47 blessés, 11 disparus et des dégâts matériels. A la suite de l’enquête, 155 victimes ont été identifiées dont 140 personnes ayant trouvé la mort au stade, 11 personnes blessées, cinq (5) disparus. Sur les cent cinquante-cinq (155) victimes identifiées, quatre-vingt-dix-sept (97) demandent justice et cinquante-huit (58) ne réclament pas justice car se remettent à Dieu.

Chapitre III- LES ACTIONS DU GOUVERNEMENT DANS LE CADRE DE LA GESTION DE LA TRAGEDIE.

– Trois jours de deuil national décrété

A la suite de cette tragédie, le gouvernement a présenté ses condoléances à la nation guinéenne et décrété trois (3) jours de deuil national.

Une mission gouvernementale est venue à N’Zérékoré

Egalement, une mission du gouvernement dirigée par le premier ministre, Ba Oury est venue à N’Zérékoré pour présenter les condoléances. A cet effet, le premier ministre et les ministres qui l’accompagnaient ont rendu visite au patriarche et aux religieux et également visité certains blessés qui étaient alitées à l’hôpital régional.

– L’ouverture d’une enquête judiciaire

Aussi, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Yaya Kaïra Kaba, a annoncé le mardi 03 décembre 2024, l’ouverture d’une enquête judiciaire. Sur le fondement de l’article 37 du Code de procédure pénale, il a instruit le procureur général près la Cour d’appel de Kankan d’agir.

D’où la mise en place d’une commission administrative d’enquête. Cette commission a rencontré plusieurs entités et personnalités impliquées de près ou de loin dans cette tragédie pour entendre leurs versions des faits, dont quelques responsables du collectif des ONG de défense des droits de l’homme à N’Zérékoré.

Est-ce que cette commission sera à la hauteur des attentes ? Est-ce qu’une commission de farce ? Es-ce que cette commission contribuera véritablement à la manifestation de la vérité ?

Parlant des enquêtes judiciaires, face à la question que pensez-vous de la commission d’enquête mise en place par le gouvernement, un parent d’une victime affirme :

« Plusieurs enquêtes ont été ouvertes en Guinée et n’ont jamais été fermées. Nous pensons aussi à la même chose. C’est nous qui devons prendre notre destin en main ».

La distribution de vivres à des victimes par le Conseil national de la Transition (CNT)

Vingt jours après la tragédie, une délégation du CNT dirigé par la première vice-présidente de cette institution, Maïmouna Yombouno, a offert aux victimes 100 sacs de riz de 50 kilogrammes, 100 cartons d’huile d’arachide (chacun contenant quatre bidons de cinq litres) et des canettes d’eau minérale et des sommes d’argent.

La remise de ces dons a été faite en présence du gouverneur de la région administrative et le Préfet de N’Zérékoré.

Est-ce que ces actions du gouvernement sont-elles suffisantes ?

Ces dons de vivre ont suscité des réactions de la part de certaines victimes qui n’ont pas été associées :

« Pour dire que le gouvernement ne fera rien, regardez le riz qu’il a envoyé pour les victimes. Combien ont reçu ? A qui les autorités locales ont remis, si ce n’est leurs proches ? J’ai même appris que d’autres ont refusé de prendre car il manquait la manière. Moi qui vous parle, c’est dans les médias que j’ai appris cette distribution des vivres pour les victimes. Et pourtant je suis victime »

Plusieurs familles des victimes rencontrées estiment que ces actes du gouvernement ne sont pas suffisants. Elles auraient souhaité tout d’abord :

– L’interpellation des organisateurs de l’évènement et des sanctions à titre conservatoire contre certaines autorités locales, notamment le gouverneur de la région et le préfet ;

– La démission des ministres présentes au stade.

– La mise en place d’un centre d’accueil et de soutien psychosocial aux victimes et parents des victimes ;

– L’identification d’un lieu de recueillement pour le dépôt des gerbes de fleurs, bougies… en mémoire de toutes les victimes le lendemain de la tragédie ;

– Un recensement exhaustif des victimes

– La mise en place d’un élan de solidarité pour un soutien morale, psychologique et matériel des victimes.

– L’ouverture d’une enquête judiciaire.

CHAPITRE IV – LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME ENREGISTREES

Il est important de rappeler que les droits de l’homme sont les normes qui reconnaissent et protègent la dignité de tous les êtres humains. Ils régissent la façon dont nous vivons en société les uns avec les autres ainsi que la relation qui lie les individus aux gouvernements et les obligations des gouvernements entre eux.

Le droit relatif aux droits de l’homme définit ce que les gouvernements doivent faire et ne peuvent pas faire. Les individus, eux aussi, ont des responsabilités : l’exercice de leurs droits ne doit pas se faire aux dépens des droits d’autrui.

C’est à la lumière de ces exigences de droit que s’inscrit cette enquête sur la tragédie survenue au stade du 03 avril de N’Zérékoré le 01 décembre 2024.

A cet effet plusieurs violations des droits humains ont été identifiées :

1- Des pertes en vie humaines (la violation du droit à la vie).

Considérant que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne3 » et que la personne humaine est sacrée4, il était important de savoir comment s’est opérée la mort de ces personnes au stade et qui sont les auteurs.

3 Article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

4 In la charte de la transition en Guinée, article10

Selon les informations recueillies auprès des parents des victimes, la plupart des personnes qui ont trouvé la mort au stade l’ont été par :

– Bousculade et le piétinement vu le nombre élevé de spectateurs ;

– Escalade du mur d’un stade haut de plus de dix (10) mètres environ ;

– Asphyxie à la suite de l’inhalation des gaz lacrymogènes jetés par les forces de sécurité ;

– Des véhicules des autorités administratives, des forces de sécurité et de tiers ayant percuté des spectateurs cherchant à sortir du stade.

– La non-assistance à certains spectateurs en quête de secours et d’assistance

2- Des coups et blessures volontaires (La violation du droit à l’intégrité physique).

Plusieurs citoyens ont été blessés au stade. Le nombre exact n’est pas connu à nos jours. Selon les enquêtes, la plupart des personnes qui ont été blessé au stade l’ont été par :

– Bousculade et le piétinement d’autres spectateurs,

– A la suite de l’escalade du mur du stade haut de plus de dix (10) mètres environ

– Des véhicules des autorités administratives, des forces de sécurité et de tiers ayant percuté des spectateurs cherchant à sortir du stade.

3- Des destructions et pertes de biens matériels (La violation du droit à la sécurité des biens et services)

Au stade, plusieurs spectateurs témoignent avoir perdu leurs biens : Argent, téléphones, chaussures, motos,….

Aussi il y a eu des biens matériels qui ont été incendiés : des motos, des véhicules (un appartenant à la police et d’autres à certains spectateurs) et le bâtiment de la police du 1er arrondissement de N’Zérékoré au quartier gboyéba.

Conclusion

Promouvoir et protéger les droits de l’homme constitue une garantie essentielle de possibilité de recours et de réparation face aux injustices. Tous les gouvernements devraient chercher à créer et à soutenir des institutions qui, en offrant un contrôle indépendant, en enquêtant à propos des exactions et en promouvant des solutions réelles, peuvent les aider à respecter les obligations qui leur incombent en vertu de la législation nationale et internationale des droits de l’homme et garantir qu’ils rendront compte de leurs actes aux citoyens de leurs pays.

Les recherches effectuées par le collectif des organisations de défense des droits de l’homme de N’Zérékoré ainsi que son expérience dans la conduite des enquêtes sur des violations des droits humains montrent que la dissimulation totale ou partielle de la vérité ainsi que les demi-mesures en matière d’établissement de la justice laissent des plaies ouvertes dans le tissu social d’un pays et rallument des conflits que l’on pensait terminés.

C’est dans cette dynamique que s’est réalisé cette enquête sur la tragédie survenue au stade du 03 avril de N’Zérékoré le 01 décembre 2024 lors d’un match de football doté du trophée du président de la transition en Guinée, Mamadi Doumbouya.

Les résultats de cette enquête ont pu identifier les circonstances du déroulement de cette tragédie, les causes et quelques acteurs impliqués. Cette enquête a également parmi de mettre à nue les violations des droits humains enregistrées et de faire des recommandations pressantes pour la manifestation de la vérité.

Ce document pourrait servir à l’histoire et un début pour d’autres enquêtes approfondies pour la manifestation de la vérité. Ainsi, pour révéler toute la vérité ou tout ce qu’il est possible de découvrir, pour que les auteurs présumés soient traduits en justice et que les victimes de violations des droits humains et leurs familles reçoivent une réparation adéquate.

Les autorités de la transition et les institutions judiciaires de notre pays pourront-elles accomplir ce défi ?

LES RECOMMANDATIONS

Un autre objectif de cette enquête est aussi de faire des recommandations au gouvernement et aux institutions judiciaires de la république de Guinée en vue de tout mettre en œuvre pour la manifestation de la vérité par l’organisation d’un procès équitable et juste et une assistance aux victimes de cette tragédie.

Au CNRD et au gouvernement de la république de Guinée

Le ministre de la santé doit poursuivre la prise en charge sanitaire et totale des blessés, car certaines victimes clament encore ne pas recevoir les soins nécessaires pour recouvrer leur santé. Une prise en charge holistique de ces cas serait vitale et nécessaire.

Egalement, le ministre de la santé doit mobiliser des experts pour un accompagnement psychosocial de certaines victimes et parents de victimes traumatisés.

Le CNRD devrait mobiliser les fonds nécessaires pour apporter une assistance matérielle et financière aux victimes en attendant la tenue d’un procès équitable et juste.

Par ailleurs, le soutien international accordé aux commissions des droits de l’homme devrait s’inscrire dans un système de soutien intégré dont pourraient bénéficier l’appareil judiciaire indépendant et les ONG des droits de l’homme indépendantes. De faciliter le travail des organisations humanitaires et des droits de l’homme pour des assistances humanitaires d’une part et la manifestation de la vérité d’autre part.

Au ministre de la justice et des droits de l’homme.

La justice doit être la boussole l’a dit le président de la transition. A cet effet, nous recommandons, au ministre de la justice d’accélérer les enquêtes afin d’organiser un procès juste et équitable pour la manifestation de la vérité dans un bref delai.

Aux forces de défense et de sécurité

A en croire aux dires des spectateurs, le stade était moins sécurisé, quand bien même elles ont été informées. Nous les recommandons, d’agir avec professionnalisme dans la gestion des mouvements de foule, en déployant les moyens nécessaires pour la sécurisation de toutes manifestations dont elles ont connaissance.

L’usage des gaz lacrymogènes doit obéir à une nécessité impérieuse. Le cas des évènements du stade n’était pas opportun. A cet effet, de collaborer avec toutes les commissions d’enquête commises pour identifier ceux qui ont donné l’ordre de faire usage de gaz lacrymogènes au stade. D’assumer leurs responsabilités dans la gestion de cette tragédie.

Aux ONG de défense des droits de l’homme

Les sociétés qui veulent surmonter une histoire récente, marquée par la douleur et la violence, doivent se confronter de façon critique à la réalité des violations des droits

humains commises dans le passé. La transition vers une paix durable et un état de droit doit être basée sur la vérité, la justice et la réparation.

A cet effet, les ONG doivent oeuvrer à la documentation et la dénonciation de toutes les violations des droits humains tant pour la manifestation de la vérité et la tenue d’un procès devant les tribunaux compétents.

D’accompagner les victimes de cette tragédie de saisir les juridictions compétentes en cas de violation de leurs droits, afin d’éviter de se rendre justice ;

Aux victimes et parents des victimes

Les victimes doivent être au coeur de la manifestation de la vérité. Leur collaboration et leur engagement contribuera à la quête de la justice et de la réparation. Ainsi, ils devront refuser de se faire manipuler en s’organisant en association des victimes du stade du 03 avril, pour porter plainte contre les présumés auteurs et leurs complices devant les institutions judiciaires compétentes au niveau nationale et internationale.

LES REMERCIEMENTS :

– Au Conseil Supérieur de la Diaspora Forestière (CSDF) pour son appui financier et son expertise pour la réalisation de cette enquête et l’élaboration de ce rapport.

– Aux bureaux nationaux et régionaux des ONG membres du collectif de défense des droits de l’homme en Guinée forestière, notamment :

– Observatoire Citoyen Justice et Paix (OCJP-Guinée)

– Mêmes Droits pour Tous (MDT),

– Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme (OGDH),

– Avocats Sans Frontières Guinée (ASF-Guinée),

– Agir pour enfant (APE)

– Protection contre les Violences sur les Femmes, Enfants, la Paix dans les Communautés et Environnement (PROVIFEPE),

– Espace Femmes et Enfants (EFE)

– Volontaires Guinéens pour les Droits de l’Homme (VGDH) »

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